Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/395

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sion, et ne se sont point couverts par impiété ; mais qu’il a passé plusieurs fois avec eux devant d’autres processions, et qu’ils se sont mis à genoux.

À cette réponse si ingénue et si vraie, le troisième juge, nommé Villers, se récrie : « Il ne faut pas tant tourmenter ces pauvres innocents. »

Saucourt et Broutel, en fureur, menacèrent cet enfant de le faire pendre s’il persistait à nier. Ils l’effrayèrent ; ils lui firent verser des larmes. Ils lui firent dire, dans ce second interrogatoire, une chose qui n’a pas la moindre vraisemblance : que d’Étallonde avait dit qu’il n’y avait point de Dieu, et qu’il avait ajouté un mot qu’on n’ose prononcer.

Il faut savoir que dans Abbeville il y avait alors un ouvrier nommé Bondieu, et que de là vient l’infâme équivoque qu’on employa pour nous perdre.

Enfin ils lui firent articuler même, dans l’excès de son égarement, que d’Étallonde connaissait un prêtre qui fournirait des hosties consacrées pour servir à des opérations magiques, ainsi que Duval et Broutel le donnaient à entendre.

Quelle extravagance ! en même temps quelle bêtise ! Si dans ma première jeunesse j’avais été assez abandonné pour ne pas croire en Dieu, comment aurais-je cru à des hosties consacrées avec lesquelles on ferait des opérations magiques ?

D’où venait cette accusation ridicule d’opérations magiques avec des hosties ? D’un bruit répandu dans la populace, qu’on ne pouvait poursuivre avec tant de cruauté de jeunes fils de famille que pour un crime de magie. Et pourquoi de la magie plutôt qu’un autre délit ? Parce qu’il y avait des monitoires qui ordonnaient à tout le monde de venir à révélation ; et que, selon les idées du peuple, ces monitoires n’étaient ordinairement lancés que contre les hérétiques et les magiciens.

Les provinces de France sont-elles encore plongées dans leur ancienne barbarie ? Sommes-nous revenus à ces temps d’opprobre où l’on accusait le prédicateur Urbain Grandier[1] d’avoir ensorcelé dix-sept religieuses de Loudun, où l’on forçait le curé Gauffridi d’avouer qu’il avait soufflé le diable dans le corps de Magdeleine La Palu, et où l’on a vu enfin le jésuite Girard prêt d’être condamné aux flammes pour avoir jeté un sort sur la Cadière ?

Ce fut dans cet interrogatoire que cet enfant Moinel, intimidé

  1. Voyez, ci-après, le paragraphe ix du Prix de la justice et de l’humanité.