Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/44

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prières auxquelles j’ai cédé ; de la conviction intime où j’ai été, et où je suis jusqu’à ce moment, de l’innocence de M. le comte de Morangiés ; de mon indignation contre les artifices de la chicane, qui accablent si souvent l’innocence. Je pouvais, monsieur, exercer comme vous la noble profession d’avocat. Je pouvais même être votre juge, ainsi que le sont mes parents. Si j’ai préféré les belles-lettres, ce n’est pas à vous, qui les cultivez, à me le reprocher.

Oui, monsieur, je crois M. de Morangiés malheureux et innocent, peut-être mal conseillé d’abord dans cette affaire épineuse ; peut-être inconsidérément servi par un commis de police trop livré à son zèle ; ayant contre lui la famille entière Véron, et tous ceux qui ont pris le parti de cette famille, et une faction nombreuse. Mais pourquoi le chargez-vous d’injures et d’opprobres avant le jugement ? Pourquoi dites-vous d’un maréchal de camp (page 51) « qu’il n’est qu’un fourbe maladroit, et qu’il n’a reçu de la nature que de médiocres dispositions pour être faussaire » ?

Pourquoi lui dites-vous (page 55) : « Vous mentez impudemment » ?

Et dans la même page, « qu’il ameute toutes les bouches impures qui veulent le servir » ?

Pourquoi enfin poussez-vous l’atrocité (page 86) jusqu’à vous servir deux fois du terme de fripon ? Il était, dites-vous, un fripon, de son aveu et du mien. Quoi ! vous qui n’auriez pas eu la hardiesse de lui manquer de respect en sa présence, vous lui dites dans un libelle ces odieuses injures que vous tremblez de signer, et vous faites consulter ce libelle comme l’ouvrage d’un avocat ! Ainsi vous offensez doublement l’honneur de votre corps en n’osant pas paraître, et en osant souiller de ces infâmes opprobres un mémoire que vous rendez juridique en l’appuyant d’une consultation.

Vous ne vous contentez pas de cet excès qui fait tant de tort à votre cause ; vous joignez ce que la bouffonnerie a de plus vil à ce que l’emportement a de plus grossier.

Vous commencez, dans une affaire capitale où il s’agit de l’honneur et de la fortune de deux familles, et peut-être des peines les plus rigoureuses ; vous commencez, dis-je, par annoncer que vous ne dînez point chez Fréron ; vous plaisantez sur les Calas et sur Lavaisse : quel sujet de raillerie ! Vous prenez Lavaisse pour le gendre[1] de La Beaumelle, sans être le moins du

  1. À la page 3 des Preuves démonstratives. Lavaisse est qualifié gendre de La Beaumelle, dont il était le beau-frère. Cette faute ne fait rien à l’affaire de Morangiés. (B.)