Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/465

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teurs, et où en serait notre art diplomatique, si nous n’avions pas des traits d’histoire de cette force à débrouiller ? Réduisez l’histoire à la vérité, vous la perdez : c’est Alcine dépouillée de ses prestiges, réduite à elle-même. Songez d’ailleurs que le poëme de Moukden n’a pas été fait pour nous, mais pour les Chinois.

— Eh bien donc ! me répondit M. Gervais, qu’on le lise à la Chine. »

LETTRE II.

réflexions de dom ruinart sir la vierge dont l’empereur kien-long descend.

Je rendis hier compte de cette conversation au savant dom Ruinart[1], mon confrère, qui me parla ainsi : « Vous avez eu tort de nier les couches de la vierge céleste et de son fruit rouge ; vous pourrez bientôt aller à la Chine remplacer les révérends pères jésuites ; vous courez de grands risques si on sait que vous avez douté de la généalogie de l’empereur Kien-long. L’aventure de sa grand’mère est d’une vérité incontestable dans son pays ; elle doit donc être vraie partout ailleurs. Car enfin, qui peut être mieux informé de l’histoire de cette dame que son petit-fils ? L’empereur ne peut être ni trompé ni trompeur. Son poème est entièrement dépourvu d’imagination ; il est clair qu’il n’a rien inventé ; tout ce qu’il dit sur la ville de Moukden est purement véridique : donc ce qu’il raconte de sa famille est véridique aussi. J’ai avancé dans mes livres des choses non moins extraordinaires ; l’histoire de mes sept pucelles d’Ancyre, dont la plus jeune avait soixante et dix ans, condamnées toutes à être violées, approche assez de votre pucelle au fruit rouge[2].

« J’ai rapporté des prodiges encore plus merveilleux, mais je les ai démontrés : car j’ai affirmé les avoir copiés sur des manuscrits qui étaient cachés dans plus d’un de nos couvents au XVIe siècle ; or quelques pages de ces manuscrits étaient conformes les unes aux autres : donc rien n’était plus authentique, car cela n’était pas fait de concert[3]. Il y a eu des gens de col roide que

  1. Voyez son article, tome XIV, page 125.
  2. Voyez l’histoire des sept vieilles pucelles d’Ancyre, du cabaretier Théodote, du curé Fronton, et du cavalier céleste, dans les Actes sincères de dom Ruinart, tome I, pages 531 et suiv. Voyez aussi le jésuite Bollandus ; et voyez comme tout est de cette force dans ces auteurs sincères. (Note de Voltaire.)
  3. C’est le mot de Pascal ; voyez tome XX, page 618 ; et XXII, 39.