Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/488

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à Sichem, de Sichem à Damas, de Damas à Alep, d’Alep à Erzerum ; que dans la suite des temps cette grande partie du peuple chéri s’avança vers Érivan ; que bientôt après elle marcha au sud de la mer d’Hircanie, vulgairement la mer Caspienne ; qu’elle planta ses pavillons dans le Guilan, dans le Tabeistan ; qu’elle vécut longtemps de cailles dans le grand désert salé, selon son ancienne coutume ; et qu’enfin, de déserts en déserts et de bénédictions en bénédictions, les dix tribus fondèrent le royaume de Caï-foum-fou, dont ils ne reviendront que pour conduire les nations dans la voie droite[1]. Cette doctrine consola fort mon père, mais ne le dédommagea pas.

J’avais dans ce temps-là même un cousin germain bachelier de Sorbonne. Il se chargea de faire le panégyrique des six corps des marchands : la sacrée faculté y trouva des propositions malsonnantes, hérétiques, sentant l’hérésie : ce qui lui fit une affaire très-sérieuse.

Ces aventures, et d’autres pareilles, firent connaître à la famille qu’elle ne devait jamais se mêler des affaires d’autrui, qu’il fallait renoncer à la prose soutenue comme aux vers alexandrins, et qu’enfin rien n’était plus dangereux que de vouloir briller dans le monde.

En effet, quand le père Castel[2] fit une brochure pour rassurer l’univers, et une autre brochure pour instruire l’univers, les honnêtes gens en rirent, et l’univers n’en sut rien. C’est bien pis que si l’univers avait ri. Tout cela était un avertissement de me taire.

Vous pourrez me dire, monsieur, que l’empereur Kien-long a pourtant voulu instruire une grand partie du globe en vers tartares, et que tous les lettrés de la Chine ont été à ses pieds. Vous ajouterez encore qu’il a fait imprimer une chanson sur le thé[3], et qu’il n’y a point de dame depuis Pékin jusqu’à Kanton

  1. On peut consulter sur une partie de ces belles choses un professeur émérite du collège du Plessis à Paris, lequel a fait parler fort savamment messieurs les Juifs Jonathan, Mathataï, et Winker. On peut voir aussi la réponse à ces messieurs, article Juifs, tome V des Questions sur l’Encyclopédie, nouvelle édition.

    — L’article Juifs est dans la présente édition, tome XIX, page 526. Antoine Guénée, auteur des Lettres de quelques Juifs, 1769, in-8o, souvent réimprimées, né à Étampes en 1717, mort le 27 novembre 1803, avait été professeur de rhétorique au collège du Plessis ; voyez, plus loin, l’écrit intitulé Un chrétien contre six Juifs.

  2. Le P. Castel (que Voltaire a loué et vivement critiqué) a publié des Lettres philosophiques pour rassurer l’univers, 1736, in-12.
  3. Cette chanson à boire est traduite par le P. Amiot, et imprimée à la suite du poème de Moukden. C’est une chanson fort différente des nôtres : elle ne respire que la sobriété et la morale. Les chansonniers du bas étage, les seuls qui nous restent, n’en seraient pas contents. (Note de Voltaire.)