Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/497

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brachmanes. C’est probablement ainsi que Pythagore fut reçu chez eux. Ils ont conservé depuis des siècles innombrables la simplicité et la générosité de leurs mœurs. Ajoutez à cela que cette province, presque aussi grande que la France ou l’Allemagne, a toujours été préservée du fléau de la guerre, tandis que ce fléau dévorait tout depuis Delhi, et depuis les rives du Gange jusqu’aux sables de Pondichéry.

On demandera comment des peuples si doux et si vertueux n’ont pas été conquis par quelqu’un de ces voleurs de grands chemins, soit Marattes, soit Européans, soit Thamas-Kouli-kan, soit Abdalla ? C’est qu’on ne peut pas entrer chez eux aussi facilement que le diable entra, selon Milton, dans le paradis terrestre, en sautant les murs.

Le prince descendant des premiers rois brachmanes, qui règne dans Vishnapor, peut, en moins d’un jour, inonder tout le pays ; une armée serait noyée en arrivant. Vishnapor est aussi bien défendu qu’Amsterdam et Venise ; ces peuples, qui n’ont jamais attaqué personne, résisteraient à l’univers entier.

Probablement quelques Français, soit à Romorantin, soit à Paris, prendront ce récit pour des contes d’Hérodote ou pour d’autres contes ; tout est cependant de la plus exacte vérité : les témoins oculaires sont à Londres.

Pourquoi n’en sait-on rien chez nous ? Pourquoi de soixante journaux qui paraissent tous les mois aucun n’a-t-il discuté des merveilles si étranges ? On dit que le livre de M. Holwell a été traduit[1] ; mais ces faits, jetés en passant dans des mémoires sur les intérêts de sa compagnie des Indes, n’ont été remarqués en France par personne. Un seul homme en a parlé[2], et on n’y a pas pris garde. On n’était occupé chez nous que de l’histoire parisienne du jour. Si on a jeté les yeux un moment sur l’Inde, ce n’a été que pour accuser de nos désastres ceux qui avaient prodigué leur sang pour les finir. Aucun même des négociants, des commis, des employés de notre malheureuse compagnie, n’a jamais entendu parler de Vishnapor ou Bishnapor. Ils ont été chassés d’un climat que pendant cinquante ans ils n’avaient pu connaître. Le jésuite Lavaur, qui revint de Pondichéry avec onze cent mille francs dans sa cassette, ne savait pas si M. Holwell et M. Dow étaient au monde.

J’avoue que si la route de Vishnapor était aussi fréquentée

  1. Voyez la note 1 de la page 125.
  2. Voltaire lui-même ; voyez ci-dessus, pages 125 et 166.