Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/544

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propres mains : in frusta concidit eum[1]. Le zèle lui mit l’épée à la main, dit le savant dom Calmet ; il pouvait ajouter que le zèle donne des forces surnaturelles, car Samuel avait près de cent ans, et à cet âge on n’est guère capable de mettre un roi en hachis. Il faut un furieux couperet de cuisine, et un furieux bras. Je ne vous parle pas de l’insolence d’un aumônier de quartier, qui coupe en morceau un roi prisonnier que son maître a mis à rançon, et qui allait payer cette rançon à ce maitre. On a déjà dit[2] que si un chapelain de Charles-Quint en avait fait autant à François Ier, la chose eût paru rare.

Vous avez la cruauté, monsieur ou messieurs, de calomnier ce pauvre roi Agag pour justifier le cuisinier Samuel. Vous affirmez que c’était un tyran sanguinaire, parce que Samuel lui dit, en le coupant par morceaux : « Comme ton épée à ravi des enfants à des mères ainsi ta mère restera sans enfants. » Hélas ! monsieur, n’est ce pas ce que tant de héros de l’Iliade disent aux héros qu’ils tuent dans les combats ? Le pieux Hector avait fait pleurer des mères Grecques ; Achille fit pleurer la mère d’Hector, lequel n’était point un tyran sanguinaire. Cessez de remuer la cendre du bon roi Agag, et de flétrir sa mémoire. C’est bien assez qu’il ait été haché menu par Samuel, fils d’Elcana.

XXXVI. — Des prophètes

Passons à une autre question. C’est une chose respectable sans doute que le dont de prophétie ; ce n’est pas assez d’exalter son âme, il faut une grâce particulière. Je ne sais pas si mon ami a dit que connaitre l’avenir c’est connaitre ce qui n’est pas[3] ; mais, s’il l’a dit, il a dit vrai. Vous répondrez qu’on connait le passé, et que cependant le passé n’est pas. Voilà un plaisant sophisme. Un homme aussi sérieux que vous l’êtes peut il se jouer ainsi des mots ? Faut-il vous dire que le passé est dans la bouche de ceux qui ont vu, dans les livres de ceux qui ont écrit ? Encore n’y est-il guère. Mais où est l’avenir ? Où le voit-on ? Mon ami a toujours révéré les prophètes, non pas tous ; peut-être a-t-il eu quelque scrupule sur la vision qu’eut le prophète Michée quand Dieu, au milieu de tous ses anges, demanda qui d’eux voulait tromper Achab en son nom, et le faire aller à

  1. Livre Ier des Rois, chap xv, vers. 33.
  2. Voyez tome xxiv, page 443.
  3. Voyes tome XI, page 86.