Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome3.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MADAME DU TOUR.

Elle se taira donc, monsieur, à votre farce.

VOLTAIRE.

Eh ! pourquoi, s’il vous plaît ?

MADAME DU TOUR.

Elle se Eh ! pourquoi, s’il vous plaît ? Oh ! parce
Que l’on hait les mauvais plaisants.

VOLTAIRE.

Mais que voulez-vous donc pour vos amusements ?

MADAME DU TOUR.

Toute autre chose.

VOLTAIRE.

Toute autre chose.Eh quoi ! des tragédies
Qui du théâtre anglais soient d’horribles copies[1] !

MADAME DU TOUR.

Non, ce n’est pas ce qu’il nous faut :
La pitié, non l’horreur, doit régner sur la scène.
Des sauvages Anglais la triste Melpomène
Prit pour théâtre un échafaud.

VOLTAIRE.

Aimez-vous mieux la sage et grave comédie
Où l’on instruit toujours, où jamais on ne rit,
Où Sénèque et Montaigne étalent leur esprit.
Où le public enfin bat des mains, et s’ennuie[2] ?

MADAME DU TOUR.

Non, j’aimerais mieux Arlequin
Qu’un comique de cette espèce :
Je ne puis souffrir la sagesse.
Quand elle prêche en brodequin

VOLTAIRE.

Oh ! que voulez-vous donc ?

MADAME DU TOUR.

Oh ! que voulez-vous donc ? De la simple nature,
Un ridicule fin, des portraits délicats,
De la noblesse sans enflure ;
Point de moralités : une morale pure
Qui naisse du sujet, et ne se montre pas.

  1. Allusion à la Venise sauvée de La Place, pièce imitée d’Otway, jouée en 1746 et imprimée en 1747. L’acteur Rosely harangua le parterre pour le prévenir des singularités du genre anglais. (G. A.)
  2. Allusion à la Gouvernante de Lachaussée, jouée le 18 janvier 1747. (G. A.)