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310 PREFACE DE L’ÉDITION DE 1736.

que cette comédio du Sir Poliiirh- nï’tait ni dans lo ^oût des Anglais, ni dans celui d’aucune autre nation.

Il est aisé d’apercevoir, dans la tragcklie de la Mort de César, le génie et le caractère des écrivains anglais, aussi ])ien ([ue celui du peuple romain. On y voit cet amour dominant de la liberté, et ces hardiesses que les auteurs français ont rarement.

Il y a encore en Angleterre une autre tragédie de la Mort de César, composée par le duc de Buckingham. Il y en a une en ita- lien, de l’abbé Conti, noble vénitien. Ces pièces ne se ressemblent qu’en un seul point, c’est qu’on n’y trouve point d’amour. Aucun de ces auteurs n’a avili ce grand sujet par une intrigue de galan- terie. Mais il y a environ trente-cinq ans qu’un des plus beaux génies de France ’ s’étant associé avec M"*" Barbier pour compo- ser un Jules César, il ne manqua pas de représenter César et Bru- tus amoureux et jaloux. Cette petitesse ridicule est un des plus grands exemples de la force de Tliabitude ; personne n’ose guérir le théâtre français de cette contagion. Il a fallu que, dans Racine, Mithridate, Alexandre, Porus, aient été galants. Corneille n’a jamais évité cette faiblesse : il n’a fait aucune pièce sans amour, et il faut avouer que, dans ses tragédies, si vous exceptez le Cid et Polyeucte, cette passion est aussi mal peinte qu’elle y est étrangère.

Notre auteur a donné peut-être ici dans un autre excès. Bien des gens trouvent dans sa pièce trop de férocité : ils voient avec horreur que Brutus sacrifie à l’amour de sa patrie, non-seulement son bienfaiteur, mais encore son père. On n’a autre chose à répondre sinon que tel était le caractère de Brutus, et qu’il faut peindre les hommes tels qu’ils étaient. On a encore une lettre de ce fier Romain^, dans laquelle il dit qu’il tuerait son père pour le salut de la républif[ue. On sait que César était son père ; il n’en faut pas davantage pour justifier cette hardiesse.

On imprime au devant de cette tragédie une lettre du comte Algarotti, jeune homme déjà connu pour un bon poète et pour un bon philosophe, ami de M. de Voltaire.

’ On met, à la suite de la tragédie de César, VÉpItre de notre

i. Fontcnellc : mais s’il a fait la tragédie de Brutus, comprise dans ses Œuvres, quoique imprimée sous le nom de M*^^ Bernard, c’est à l’abbé Pellegrin qu’on attribue la Mort de Jules César, donnée en 1709 sous le nom de M"" Barbier, qui n’est morte qu’en 1745. (B.)

2. C’est celle qui est parmi les Lettres de Cicéron, et dont il est parlé dans l’Avertissement qui précède. (B.)

3. Je rétablis toute la fin de cette Préface, que l’auteur avait supprimée en 1738. (B.)