Ce triste sentiment plein de honte et d’horreur,
Si légitime en moi, trouve en vous un censeur !
Vous voyez sans pitié ma douleur effrénée !
Mêlez moins d’amertume à votre destinée ;
Alzire a des vertus, et loin de les aigrir,
Par des dehors plus doux vous devez l’attendrir.
Son cœur de ces climats conserve la rudesse,
Il résiste à la force, il cède à la souplesse,
Et la douceur peut tout sur notre volonté.
Moi que je flatte encore l’orgueil de sa beauté !
Que sous un front serein déguisant mon outrage,
À de nouveaux mépris ma bonté l’encourage !
Ne devriez-vous pas, de mon honneur jaloux,
Au lieu de le blâmer, partager mon courroux ?
J’ai déjà trop rougi d’épouser une esclave,
Qui m’ose dédaigner, qui me hait, qui me brave,
Dont un autre à mes yeux possède encore le cœur,
Et que j’aime, en un mot, pour comble de malheur.
Ne vous repentez point d’un amour légitime ;
Mais sachez le régler, tout excès mène au crime.
Promettez-moi du moins de ne décider rien,
Avant de m’accorder un second entretien.
Eh que pourrait un fils refuser à son père ?
Je veux bien pour un temps suspendre ma colère,
N’en exigez pas plus de mon cœur outragé.
Je ne veux que du temps.
(il sort.)
Gusman seul.
Quoi n’être point vengé !
Aimer, me repentir, être réduit encore
À l’horreur d’envier le destin de Zamore,
D’un de ces vils mortels en Europe ignorés,
Qu’à peine du nom d’homme on aurait honorés…
Que vois-je ! Alzire ! ô ciel…