Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/151

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Quoi donc ! Ce que votre dieu Chamos possede n’est-il pas à vous de droit ? Laissez-nous donc en possession de ce que notre dieu a obtenu par ses victoires. Nous avons habité pendant trois cents ans dans le pays conquis

pourquoi, dans tout ce temps-là, n’avez-vous pas reclamé vos droits ?[1]... après cela l’esprit du seigneur fut sur Jephté. Il courut tout le pays, et il voua un vœu au seigneur, disant : si tu me livres les enfans d’Ammon, je te sacrifierai en holocauste (au seigneur)

    ambassadeurs pour représenter ses raisons avant de les soutenir par les armes. Nos adversaires ne répondent à cet argument qu’en niant tous les anciens livres hébreux, et qu’en soutenant toujours qu’ils n’ont pu être compilés que par des lévites ignorants dans des siecles très éloignés de ces temps sauvages. Comme les juifs, s’étant enfin établis à Jérusalem, eurent toujours la guerre avec les peuples voisins, ils voulurent enfin établir quelques anciens droits sur les terres qu’on leur disputait ; et ce fut alors, disent les critiques, que les lévites compilerent ces livres sur d’anciennes traditions ; plus ils les remplirent de faits extraordinaires, de l’intervention continuelle de la divinité, et de prodiges entassés sur d’autres prodiges, plus ils éblouirent leur peuple superstitieux et barbare. L’intérêt personnel de ces lévites, auteurs de ces livres, était qu’on crût fermement tous les faits qu’ils annonçaient au nom de Dieu ; puisque c’était sur la croyance de ces faits-mêmes que leur subsistance était fondée. Remarquons que ce systême des incrédules n’est établi que sur une conjecture ; et qu’une supposition, quand même elle serait très vraisemblable, ne suffit pas pour constater les faits.

  1. nous sommes obligés de réfuter les critiques presque à chaque ligne. C’est ici leur plus grand triomphe. Ils croient voir une égalité parfaite entre Chamos dieu des ammonites, et Adonaï dieu des juifs. Ils sont convaincus que chaque petit peuple avait son dieu, comme chaque armée a son général. Salomon même bâtit un temple à Chamos. Ils croient que Kium, Phégor, Belréem, Belzébuth, Adonis, Thammus, Moloc, Melchom, Baalméom, Adad, Amalec, Malachel, Adramalec, Astaroth, Dagon, Dercéto, Atergati, Marnas, Turo, etc. étaient des noms différents qui signifiaient tous la même chose, le seigneur du lieu. Chacun avait son seigneur du lieu ; et c’était à qui l’emporterait sur les autres seigneurs. Chaque peuple combattait sous l’étendart de son dieu, comme des peuples barbares de l’Europe combattirent sous les étendarts de leurs saints après la destruction de l’empire romain. Nos incrédules soutiennent que cette vérité est pleinement reconnue par Jephté. Ce que Chamos vous a donné est à vous, ce qu’Adonaï nous a donné est à nous. Il n’y a point de sophisme qui puisse détruire un aveu si clair, et si clairement énoncé. Calmet dit, que c’est une figure de discours qu’on appelle concession . Mais il n’y a point là de figure de discours, c’est un principe que Jephté établit nettement, et sur lequel il raisonne. Il faut, ou rejetter entiérement le livre des juges, ou convenir que Jephté admet deux dieux également puissants. La meilleure réponse, à notre avis, serait que le texte est corrompu dans cet endroit par les copistes, et qu’il n’était pas possible que Jephté, qui avait entendu parler de tous les miracles du dieu des juifs en faveur de son peuple, pût croire qu’il y eut un autre dieu aussi puissant que lui : ... etc. On pourrait encore dire que Jephté était fils d’un adorateur de Baal, et que peut-être il n’était pas encore assez instruit de la religion du peuple juif qui l’avait choisi pour son chef.