Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/166

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Booz, homme puissant et très-riche[1]. Ruth la moabite dit à sa belle-mere : si vous le permettez, j’irai glaner dans quelque champ, et je trouverai peut-être quelque pere de famille devant qui je trouverai grace. Noëmi lui répondit : va ma fille. Ruth s’en alla donc glaner derriere les moissonneurs... or il se trouva que le champ où elle glanait appartenait à Booz, parent d’Hélimélec (beau-pere de Ruth)... Booz dit à un jeune-homme chef des moissonneurs : qui est cette fille ? Lequel répondit : c’est cette moabite qui est venue avec Noëmi du pays des moabites... Booz dit à Ruth : écoute fille, ne va point glaner dans un autre champ, mais joins-toi à mes moissonneuses, car j’ai ordonné à mes gens de ne te point faire de peine ; et même quand tu auras soif, bois de l’eau dont boivent mes gens. Ruth tombant sur sa face et l’adorant à terre, lui dit : d’où vient cela que j’ai trouvé grace devant tes yeux, et que tu daignes regarder une étrangere ? Booz lui répondit : on m’a conté tout ce que tu as fait pour ta belle-mere après la mort de ton mari[2], et que tu as quitté tes parents et la terre de Moab où tu es née, pour venir chez un peuple que tu ne connaissais pas...

  1. on voit dans tout ce morceau quelle était cette simplicité de la vie champêtre qu’on menait alors. Mais ce qu’il y a d’étrange et de triste, c’est que cette simplicité s’accorde avec les mœurs féroces dont nous venons de voir tant d’exemples. Ces mêmes peuples chez lesquels il se trouve un aussi bon homme que Booz, et une aussi bonne femme que Ruth, sont pourtant pires que les suivants d’Attila et de Genseric. Tout le petit peuple en-deçà et en-delà du Jourdain, jusqu’aux terres des opulents sidoniens enrichis par le commerce, et jusqu’aux villes florissantes de Damas et de Balbec, étaient habitées par des gens très pauvres et très simples. Booz est appellé un homme puissant et riche parce qu’il a quelques arpents de terre qui produisent de l’orge. Il couche dans sa grange sur la paille ; il vanne son orge lui-même, quoique déjà avancé en âge. Nous avons dit bien souvent que ces temps et ces mœurs n’ont rien de commun avec les nôtres, soit en bien, soit en mal. Leur esprit n’est point notre esprit ; leur bon sens n’est point notre bon sens. C’est pour cela-même que le pentateuque, les livres de Josué et des juges, sont mille fois plus instructifs qu’Homere et Hérodote.
  2. il n’y a pas, dira-t-on, une générosité à un homme puissant et très riche, tel que Booz est représenté, de permettre de glaner et de boire de l’eau, à une femme dont on lui a déjà parlé, dont il devait savoir qu’il était parent quoiqu’elle fût moabite. Mais une cruche d’eau était un régal dans ce désert auprès de Bethléem. Et nous avons remarqué que plusieurs voyageurs, et même plusieurs arabes, y sont morts faute d’eau potable. S’il y a quelques ruisseaux comme le torrent de Cédron auprès de Jérusalem, il est à sec dans le temps de la moisson. Tout ce qui environne Bethléem, est une plaine de sable et de cailloux. C’est beaucoup si à force de culture elle produit un peu d’orge.