Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/168

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proche parent veut te prendre, à la bonne heure ; s’il n’en veut rien faire, je te prendrai sans nulle difficulté, comme Dieu est vivant... dors jusqu’au matin... elle se leva avant que le jour parût ; et Booz lui dit : prends bien garde que personne ne sache que tu es venue ici ; étends ta robe, tiens-la des deux mains. Elle étendit sa robe et la tint des deux mains ; et il y mit six boisseaux d’orge, qu’elle emporta à Bethléem.[1]... le proche parent de Ruth n’ayant pas voulu l’épouser, Booz dit à ce proche parent, ôte ton soulier, et le parent ayant ôté son soulier[2]... ... Booz prit Ruth en femme ; il entra en elle, et Dieu lui donna de concevoir et d’enfanter un fils... ils l’appellerent Obed. C’est lui qui fut pere d’Isaï, pere de David[3].

  1. le conseil que donne Booz à Ruth de se lever avant le jour, et de prendre garde qu’on ne la voie, fait croire qu’au moins Ruth a fait une action plus qu’imprudente. Le texte dit que Booz était devenu plus gai après avoir bu. Cette circonstance, jointe à la hardiesse de cette femme de s’aller mettre dans le lit d’un homme, peut faire penser que le mariage fut consommé avant d’avoir été proposé. Nos mœurs ne sont pas plus chastes, mais elles sont plus décentes. Il semble que les six boisseaux d’orge soient une récompense des plaisirs de la nuit : mais quelle récompense que de l’orge dans son tablier ! Notre réponse à ces censures est, qu’il se peut très bien que Booz n’ait rien fait à Ruth cette nuit là, et que le conseil de s’évader avant le jour n’ait été qu’une précaution pour dérober Ruth aux railleries des moissonneurs.
  2. la loi portée dans le deuteronome, chap 25, était, qu’une femme veuve, que le frere de son mari refusait d’épouser, était en droit de le déchausser et de lui cracher au visage. Mais c’était à la femme seule à s’acquitter de cette cérémonie. Et on ne pouvait cracher qu’au visage de son beaufrere. Il devait épouser sa belle-sœur. Et il n’est point dit qu’un autre parent dût l’épouser. Il n’est pas permis parmi les catholiques romains d’épouser la veuve de son frere, à moins d’une dispense du pape. On sait que le pape Clément Vii fut cause du schisme de l’Angleterre, pour n’avoir pas voulu souffrir les prétendus remords du roi Henri Viii d’avoir épousé sa belle-sœur ; et que le pape Alexandre Vii donna toutes les dispenses qu’on voulut, quand la princesse de Némours reine de Portugal fit casser son mariage avec le roi Alphonse, et épousa le prince Pierre frere d’Alphonse, après avoir détrôné et enfermé son mari.
  3. on trouve extraordinaire que Ruth, dont descendent David et Jesus-Christ, soit une étrangere, une moabite, une descendante de l’inceste de Loth avec ses filles. Cet événement prouve, comme nous l’avons dit, que Dieu est le maître des loix, que nul n’est étranger à ses yeux, et qu’il n’a acception de personne.