Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/261

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... Tobie étant donc sorti pour laver ses pieds, un énorme poisson sortit de l’eau pour le dévorer. L’ange lui dit de prendre ce monstre par les ouies... si tu mets un petit morceau du cœur sur des charbons, la fumée chasse tous les démons, soit d’homme, soit de femme. Le fiel est bon pour oindre les yeux, quand il y a des taies…[1]. ... ils entrerent ensuite chez Raguël, qui les reçut avec joie. Et Raguël, en regardant Tobie, dit à sa femme Anne : ma femme, que ce jeune homme ressemble à mon cousin... et ayant pris du carton, ils dresserent le contract de mariage... puis le jeune Tobie tira de son sac le foie du poisson, et le mit sur des charbons ardents... l’ange Raphaël saisit le démon Asmodée, et l’alla enchaîner dans le désert de la haute égypte…[2].

  1. les critiques et les plaisants, qui se sont égaiés sur ce livre parce qu’ils ne l’ont pas reconnu pour canonique, ont dit que ce serait une chose fort curieuse qu’un poisson capable de dévorer un homme, et qu’on pût cependant prendre par les ouïes, comme on suspend un lapin par les oreilles. Il y a des poissons dont la laite ou le foie sont fort bons à manger, comme la laite de carpe et le foie de lotte ; mais on n’en connaît point encore dont le foie grillé sur des charbons ait la vertu de chasser les diables. Dès que les hommes furent assez fous pour imaginer des êtres bienfaisants et malfaisants répandus dans les quatre éléments, on se crut très-sage de chercher les moyens de s’attirer l’amitié des bons génies et de faire enfuir les mauvais. Tout ce qui était agréable eut son petit dieu, et tout ce qui nuisait eut son diable. Tel est le principe de toute théurgie, de toute magie, de toute sorcellerie. Si on brûlait de doux parfums pour les bons génies, il fallait conséquemment brûler ce qu’on avait de plus puant pour les mauvais démons. Au reste, si l’ange Raphaël conseilla au jeune Tobie de prendre ce poisson par ce qu’on appelle les ouïes, Raphaël, fort savant dans la connaissance des substances célestes, l’était peu dans celles des animaux aquatiques. Les ouïes des poissons, très-improprement nommées, sont les poulmons. Depuis la décision de Raphaël, qui déclare que le fiel des poissons de riviere guérit les aveugles, quelques médecins ont tenté d’enlever des taches, des taies sur des yeux, avec du fiel de brochet ; mais le plus sûr moyen d’enlever ces petites taches blanches qui se forment rarement sur la conjonctive, est d’employer des fomentations douces, et de rejetter toute liqueur acre et corrosive. D’ailleurs ce qu’on prenait pour des taies extérieures, étaient presque toujours de vraies cataractes, pour lesquelles le fiel de tous les animaux était fort inutile.
  2. il est plus aisé de soutenir qu’on peut chasser un diable avec de la fumée, qu’il n’est aisé de rendre la vue à un aveugle en oignant ses yeux avec du fiel, par la raison que nos chirurgiens ont abaissé plus de cataractes avec une éguille, que nous n’avons vu d’anges faire enfuir de diables en grillant un foie. Il est vrai que nous ne pourrions prouver à un ange que la chose est impossible ; car s’il nous répondait qu’il en a fait l’expérience, et qu’il faut l’en croire sur sa parole, qu’aurions-nous à lui répliquer ? L’ange Raphaël court après le diable, et va l’enchaîner dans la haute égypte,