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A L'ACADÉMIE FRANÇAISE. 337

En vain on lui citerait l'exemple des Grecs, qui trouvèrent les trois unités dans la nature. En vain on lui parlerait des Ita- liens, qui, longtemps avant Shakespeare, ranimèrent les beaux- arts au commencement du xvir siècle, et qui furent fidèles à ces trois grandes lois du bon sens : unité de lieu, unité de temps, unité d'action. En vain on lui ferait voir la Sophonisbc de l'arche- vêque Trissino^ la Roscmonde et VOrestc du Ruccellai, la Z'iV/o/i du Dolce, et tant d'autres pièces composées en Italie, près de cent ans avant que Shakespeare écrivît dans Londres, toutes asservies à ces règles judicieuses établies par les Grecs ; en vain lui remontrerait-on que YAminte du Tasse et le Paslor ftdo de Guarini ne s'écartent point de ces mômes règles, et que cette difficulté surmontée est un charme qui enchante tous les gens de goût.

En vain s'appuicrait-on de l'exemple de tous les peintres, parmi lesquels il s'en trouve à peine un seul qui ait peint deux actions différentes sur la même toile ; on décide aujourd'hui, messieurs, que les trois unités sont une loi chimérique, parce que Shakespeare ne l'a jamais observée, et parce qu'on veut nous avilir jusqu'à faire croire que nous n'avons que ce mérite.

Il ne s'agit pas de savoir si Shakespeare fut le créateur du théâtre en Angleterre. Nous accorderons aisément qu'il l'empor- tait sur tous ses contemporains ; mais certainement l'Italie avait quelques théâtres réguliers dès le xv" siècle. On avait commencé longtemps auparavant par jouer la Passion en Galabre dans les églises, et on fy joue même encore ; mais, avec le temps, quel- ques génies heureux avaient commencé à effacer la rouille dont ce beau pays était couvert depuis les inondations de tant de bar- bares. On représenta de vraies comédies du temps même du Dante ; et c'est pourquoi le Dante intitula comédie son Enfer, son Purgatoire, et son Paradis. Riccoboni nous apprend que la Flo- riana fut alors représentée à Florence.

Les Espagnols et les Français ont toujours imité l'Italie : ils commencèrent malheureusement par jouer en plein air la Pas- sion, les Mystères de r Ancien et du Nouveau. Testament. Ces facéties infâmes ont duré en Espagne jusqu'à nos jours. Nous avons trop de preuves qu'on les jouait à l'air, chez nous, aux xiv* etxv*" siè- cles; voici ce que rapporte la Chronique de Metz, composée par le curé de Saint-Eucher : « L'an l/t37, fut fait le jeu de la Passion de

1. Trissin n'était ni archevêque, ni prûtre, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer.

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