Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/41

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Loth monta de Ségor, et demeura sur la montagne dans une caverne avec ses deux filles[1]. L’aînée dit à la cadette : Notre père est vieux, et il n’est resté aucun homme sur la terre qui puisse entrer à nous, selon la coutume de toute la terre ; venez, enivrons notre père avec du vin ; couchons avec lui, afin de pouvoir susciter de la semence de notre père ; et cette aînée alla coucher avec son père, qui ne sentit rien, ni quand il se coucha, ni quand il se releva ; et le jour suivant, cette aînée dit à la cadette : Voilà que j’ai couché hier avec mon père ; donnons-lui à boire cette nuit, et tu coucheras avec lui, afin que nous gardions de la semence de notre père. Elles lui donnèrent donc encore du vin à boire, et la petite fille coucha avec lui, qui n’en sentit rien, ni quand elle concourut avec lui, ni quand elle se leva. Ainsi, les deux filles de Loth furent grosses de leur père. L’aînée enfanta Moab, qui fut père des Moabites jusqu’à aujourd’hui, et la cadette fut mère d’Ammon, qui veut dire fils de mon peuple. C’est le père des Ammonites jusqu’à aujourd’hui.

De là Abraham alla dans les terres australes, et il habita entre Cadès et Sur, et il voyagea en Gérare, et il dit que sa femme Sara était sa sœur ; c’est pourquoi Abimélech, roi de Gérare, enleva

    Sodome, Gomorrhe, et les trois autres villes qui formaient la Pentapole, fussent bâties au bout du lac. Ce lac, en effet, devait exister, et former le dégorgement du Jourdain. La plus grande difficulté est de concevoir comment il y avait cinq villes si riches et si débauchées dans ce désert affreux qui manque absolument d’eau potable, et où l’on ne trouve jamais que quelques hordes vagabondes d’Arabes voleurs, qui viennent dans le temps des caravanes. On est toujours surpris qu’Abraham et sa famille aient quitté le beau pays de la Chaldée pour venir dans ces déserts de sable et de bitume, où il est impossible aux hommes et aux animaux de vivre. Nous ne prétendons point éclaircir tous ces obscurités ; nous nous en tenons respectueusement au texte. (Note de Voltaire.)

  1. Ségor était une ville du voisinage. Quelques commentateurs la placent à quarante-cinq milles de Sodome ; et Loth quitta Ségor pour aller dans une caverne avec ses deux filles. Le texte ne dit point, d’ailleurs, ce qu’il fit lorsqu’il vit sa femme changée en statue de sel ; il ne dit point non plus le nom de ses filles. L’idée d’enivrer leur père pour coucher avec lui dans la caverne est singulière. Le texte ne dit point où elles trouvèrent du vin ; mais il dit que Loth jouit de ses filles sans s’apercevoir de rien, soit quand elles couchèrent avec lui, soit quand elles s’en allèrent. Il est très-difficile de jouir d’une femme sans le sentir, surtout si elle est pucelle. C’est un fait que nous ne hasardons pas d’expliquer.

    Il est vrai que cette histoire a quelque rapport avec celle de Myrrha et de Cyniras. Les deux filles de Loth eurent de leur père les Moabites et les Ammonites. Myrrha avait eu, dans l’Arabie, Adonis de son père Cyniras. Au reste, on ne voit pas pourquoi les filles de Loth craignaient que le monde ne finît : puisque Abraham avait déjà engendré Ismaël de sa servante, que toutes les nations étaient dispersées, et que la ville de Ségor dont ces filles sortaient, et la ville de Tsohar, étaient tout auprès. Il y a là tant d’obscurités que le seul parti est toujours de se soumettre, sans oser rien approfondir. (Id.)