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D’ÉVHÈMÈRE.

son séjour ? De quel ciel, de quel soleil envoie-t-il ses éternels décrets à toute la nature ? Je n’en sais rien ; mais je sais que toute la nature lui obéit.

Callicrate.

Mais si tout lui obéit, quand croyez-vous qu’il ait donné les premières lois à toute cette nature, et qu’il ait formé ces soleils innombrables, ces planètes, ces comètes, cette chétive et malheureuse terre ?

Évhémère.

Vous me faites toujours des questions auxquelles on ne peut répondre que par des doutes. Si j’osais faire encore une conjecture, je dirais que l’essence de l’Être suprême, de cet Être éternel, formateur, conservateur, destructeur, et reproducteur, étant d’agir, il est impossible qu’il n’ait pas agi toujours. Les œuvres de l’éternel Démiourgos ont été nécessairement éternelles, comme, dès qu’un soleil existe, il est nécessaire que ses rayons pénètrent l’espace en droite ligne.

Callicrate.

Vous me répondez par des comparaisons : cela me fait soupçonner que vous ne voyez pas bien nettement les choses dont nous parlons ; vous cherchez à les éclaircir, et, quelque peine que vous preniez, vous rentrez toujours, malgré vous, dans le système de nos épicuriens, qui attribuent tout à une force occulte, à la nécessité. Vous appelez cette force occulte Dieu, et ils l’appellent nature.

Évhémère.

Je ne serais pas fâché d’avoir quelque chose de commun avec les vrais épicuriens, qui sont d’honnêtes gens, très-sages et très-respectables ; mais je ne suis point d’accord avec ceux qui n’admettent des dieux que pour s’en moquer, en les représentant comme de vieux débauchés inutiles, abrutis par le vin, la bonne chère et l’amour.

À l’égard des bons épicuriens, qui ne placent le bonheur que dans la vertu, mais qui n’admettent que le pouvoir secret de la nature, je suis de leur avis, pourvu qu’ils reconnaissent que ce pouvoir secret est celui d’un Être nécessaire, éternel, puissant, intelligent : car l’être qui raisonne, appelé homme, ne peut être l’ouvrage que d’un maître très-intelligent, appelé Dieu.

Callicrate.

Je leur communiquerai vos pensées, et je souhaite qu’ils vous regardent comme leur confrère.