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D’ÉVHÉMÈRE.

druides[1] ont éclaté contre mon Étrurien encore plus violemment que contre mon Sarmate : peu s’en est fallu qu’ils ne lui aient fait avaler de la ciguë assaisonnée de jusquiame, comme ces fous d’Athéniens en ont fait boire à Socrate.

Callicrate.

Tout ce que vous dites là me pétrifie d’admiration. Pourquoi ne m’en avez-vous pas parlé plus tôt ?

Évhémère.

C’est que vous ne me l’avez pas demandé. Vous ne me parliez que des Grecs.

Callicrate.

Je ne vous en parlerai plus. Cette Étrurie, qui a de si grands philosophes, a-t-elle aussi des poëtes ?

Évhémère.

Elle en a qui me paraîtraient fort supérieurs à Homère, si Homère ne les avait pas devancés de quelques siècles : car c’est beaucoup d’être venu le premier.

Callicrate.

Mais ne me direz-vous point pourquoi vos vilains druides ont tant persécuté Leéliga, ce respectable sage d’Étrurie ?

Évhémère.

Par la raison qu’ils avaient lu, dans je ne sais quel livre d’Hérodote, que le soleil avait deux fois changé son cours en Égypte[2] : or, s’il avait changé son cours, c’était donc lui qui courait, et non pas la terre. Mais la véritable raison est qu’ils étaient jaloux.

Callicrate.

Jaloux ! et de quoi ?

Évhémère.

Ils prétendaient qu’il n’appartenait qu’aux druides d’enseigner les hommes, et c’était Leéliga qui les instruisait sans être druide : cela ne se pardonne point. La fureur druidale, surtout, a été extrême quand les vérités annoncées par le grand Leéliga ont été démontrées aux yeux dans une république voisine[3].

Callicrate.

Comment ! est-ce dans la république romaine ? Il me semble que jusqu’ici elle ne s’est pas trop piquée d’étudier la physique.

Évhémère.

C’est dans une république toute différente de la romaine. Celle

  1. Urbain VIII, et l’Inquisition, en 1633. (Cl.)
  2. Josué, x, 13 ; et IV, Rois, xi, 20.
  3. Celle de Venise.