Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
511
D’ÉVHÉMÈRE.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

uns les autres : car nous pouvons augmenter presque autant que nous voulons la quantité des êtres vivants et végétants, et nous ne pouvons pas augmenter la quantité des pierres ou des autres matières brutes. »

Callicrate.

Il a raison ; ce passage que vous me citez me paraît aussi vrai que nouveau : nous semons des hommes, et ils se détruisent à la guerre comme les guerriers que Cadmus fit naître des dents d’un dragon. La terre est un vaste cimetière qui se couvre sans cesse de mortels entassés sur leurs prédécesseurs. Il n’y a point d’animal qui ne soit la victime et la pâture d’un autre animal. Les végétaux sont continuellement dévorés et reproduits. Mais nous ne reproduisons point les métaux, les minéraux, les rochers. J’aime votre Gaulois, je voudrais le connaître. Quel moyen tire-t-il de cette observation pour faire des enfants ?

Évhémère.

Il a supposé que la nature peut produire de petits moules, comme les sculpteurs en fonte pétrissent des modèles de terre, autour desquels ils laissent couler le métal embrasé qui se dessine sur ces figures. Il imagine que ces modèles, ces moules organisés par la nature, s’appliquent non-seulement à tout l’extérieur des corps, mais encore à tout leur intérieur. Je ne puis mieux vous représenter cette mécanique qu’en me figurant Prométhée faisant le moule de Pandore pour le dehors et pour le dedans ; de sorte qu’elle eut une belle gorge en même temps qu’elle eut un cœur et des poumons.

L’inventeur de ce système se fonde sur ce qu’il y a dans la matière des qualités inhérentes qui appartiennent à tout l’intérieur, comme la gravitation, l’étendue. Il prétend que ces moules organiques intérieurs composent toute la matière vivante et végétante.

« Se nourrir, dit-il[1], se développer et se reproduire, sont les effets d’une seule et même cause ; le corps organisé se nourrit par les parties qui lui sont analogues ; il se développe par la susception intime des parties organiques qui lui conviennent, et il se reproduit parce qu’il contient quelques parties organiques qui lui ressemblent... Lorsque la matière organique nutritive est surabondante, elle est envoyée dans les réservoirs sous la forme d’une liqueur qui contient tout ce qui est nécessaire à la reproduction d’un petit être semblable au premier. »

  1. Buffon, chap. iii, p. 79.