Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome30.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

te servent ! Que les tribus t’adorent ! Sois le seigneur de tes freres ! Que les enfans de ta mere soient courbés devant toi… à peine Isaac avait fini son discours, que Jacob étant sorti, ésaü arriva, apportant à son pere la fricassée de sa chasse, en lui disant ; leve-toi, mon pere, afin que tu manges de la chasse de ton fils, et que ton ame me bénisse. Isaac lui dit : qui es-tu ? ésaü répondit : je suis ton premier-né ésaü. Isaac fut tout épouvanté et tout stupéfié ; et admirant la chose plus qu’on ne peut croire, il dit : qui est donc celui qui m’a apporté de la chasse, j’ai mangé de tout avant que tu vinsses ; je l’ai béni, et il sera béni. ésaü, ayant entendu ce discours, se mit à braire d’une grande clameur ; et consterné il dit : béni-moi aussi mon pere. Isaac dit : ton frere est venu frauduleusement, et a attrapé ta bénédiction. ésaü repartit : c’est justement qu’on l’appelle Jacob ; car il m’a supplanté deux fois ; il m’a pris mon droit d’ainesse, et à présent il me dérobe ta bénédiction. N’y a-t-il point aussi de bénédiction pour moi [1] ? Isaac répondit : je l’ai établi ton maître, et je lui ai soumis tous ses freres ; il aura du bled et du vin : que puis-je, après cela, faire pour toi ? ésaü dit : pere, n’as-tu qu’une bénédiction ? Bénis-moi, je t’en prie. Et il pleurait en jettant de grands cris. Isaac ému lui dit : eh bien ! Dans la graisse de la terre et dans la rosée du ciel sera ta bénédiction. Tu vivras de ton épée ; et tu serviras ton frere ; et le temps viendra que tu secoueras le joug de ton cou…

  1. ésaü a toujours raison : cependant son pere lui dit qu’il servira Jacob. ésaü ne fut point assujetti à Jacob. Une partie de ceux qu’on croit les descendans d’ésaü furent vaincus à la vérité par la race des asmonéens ; mais ils prirent toujours leur revanche. Ils aiderent Nabucodonosor à ruiner Jérusalem. Ils se joignirent aux romains. Hérode iduméen fut créé, par les romains, roi des juifs, et longtemps après ils s’associerent aux arabes de Mahomet. Ils aiderent Omar, et ensuite Saladin, à prendre Jérusalem ; ils en sont encore les maîtres en partie ; et ils ont bâti une belle mosquée sur les mêmes fondemens qu’Hérode avait établis pour élever son superbe temple. Ils partagent avec les turcs toute la seigneurie de ce pays, depuis Joppé jusqu’à Damas. Ainsi, presque dans tous les temps, c’est la race d’ésaü qui a été véritablement bénite ; et celle de Jacob a été tellement infortunée, que les deux tribus et demi qui lui resterent sont aujourd’hui aussi errantes, aussi dispersées, et beaucoup plus méprisées que les anciens parsis, et que ne l’ont été les restes des prêtres isiaques. (Note de Voltaire.)