Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/109

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faction de prêtres, et maudit par une autre. On est dévot ; il y a toujours presque autant de miracles que de scélératesses et de lâchetés. La Constantinople chrétienne n’a pas eu d’autres mœurs jusqu’au temps où elle est devenue la Constantinople turque : alors elle a été aussi atroce, mais moins méprisable, jusqu’à cette année 1776 où nous écrivons ; et il est probable qu’elle sera un jour conquise pour faire place à une troisième non moins méchante, qui succombera à son tour.

Le césar Julien, envoyé dans les Gaules, mais sans pouvoir, sans argent, et presque sans troupes, entouré de ministres qui avaient le secret de la cour, et d’espions qui le trahissaient, déploya alors toute la force de son génie longtemps retenu. Les hordes des Allemands et des Francs ravageaient la Gaule ; elles avaient détruit les villes bâties par les Romains le long du Rhin. Julien se forma une armée malgré ses surveillants, la nourrit sans fouler les peuples, la disciplina, et s’en fit aimer : enfin il vainquit avec peu de troupes des armées innombrables, à l’exemple des plus grands capitaines ; mais il était bien au-dessus d’eux par la philosophie et par les vertus. C’était César pour la conduite d’une campagne ; c’était Alexandre un jour de bataille ; c’était Marc-Aurèle et Épictète pour les mœurs. Sobre, tempérant, chaste, ne connaissant de plaisirs que ses devoirs, ennemi de toute délicatesse, jusqu’à coucher toujours à terre sur une simple peau, et à se nourrir comme un simple soldat : sa vertu allait au delà des forces de la nature humaine.

Le peu de temps qu’il résida dans Paris, notre rivale, rendit les Parisiens plus heureux qu’ils ne l’ont été sous leur bon roi Henri IV, qu’ils regrettent tous les jours. Julien osa chasser les agents de l’empereur, officiers du fisc, maltôtiers, qui tiraient toute la substance des Gaules. Qui croirait qu’il diminua les impôts dans la proportion de vingt-cinq à sept ; et que par cette réduction même, soutenue d’une sage économie, il enrichit à la fois la Gaule et le fisc impérial ? Julien voyait tout par ses yeux, et jugeait les procès de sa bouche, comme il combattait de ses mains. L’Europe se souviendra toujours avec admiration et avec tendresse de ce grand mot qu’il répondit à un avocat, au sujet d’un homme auquel on imputait un crime. « Qui sera coupable, disait cet avocat, s’il suffit de nier ? — Eh ! qui sera innocent, repartit Julien, s’il suffit d’accuser ? » Plût à Dieu qu’il fût venu à Londres comme à Paris ! Mais du moins il nous envoya des secours contre les Pictes, et nous lui avons obligation aussi bien que nos voisins. Quelle fut la récompense de tant de vertus et de