Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/125

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est cette source pure ? C’est la raison, comme nous l’avons dit, laquelle tôt ou tard parle à tous les hommes. Elle nous a fait voir que le monde n’a pu s’arranger de lui-même, et que les sociétés ne peuvent subsister sans vertu. De cela seul on a conclu qu’il y a un Dieu, et que la vertu est nécessaire. De ces deux principes résulte le bonheur général, autant que le comporte la faiblesse de la nature humaine. Voilà la source pure. Quels sont les ruisseaux impurs ? Ce sont les fables inventées par les charlatans, qui ont dit que Dieu s’était incarné cinq cents fois dans un pays de l’Inde, ou une seule fois dans une petite contrée de la Syrie ; qui ont fait paraître Dieu, tantôt en éléphant blanc, tantôt en pigeon, tantôt en vieillard avec une grande barbe, tantôt en jeune homme avec des ailes au dos, ou sous vingt autres figures différentes.

Je ne mets point, parmi les énormes sottises qu’on a osé débiter partout sur la nature divine, les fables allégoriques inventées par les Grecs. Quand ils peignirent Saturne dévorant ses enfants et des pierres, qui put ne pas reconnaître le temps qui consume tout ce qu’il a fait naître, et qui détruit ce qu’il y a de plus durable ? Est-il quelqu’un qui ait pu se méprendre à la sagesse née de la tête du souverain Dieu, sous le nom de Minerve ; à la déesse de la beauté qui ne doit jamais paraître sans les Grâces, et qui est la mère de l’Amour ; à cet Amour qui porte un bandeau et de petites flèches ; enfin à cent autres imaginations ingénieuses, qui étaient une peinture vivante de la nature entière ? Ces fables allégoriques sont si belles, qu’elles triomphent encore tous les jours des inventions atroces de la mythologie chrétienne ; on les voit sculptées dans nos jardins, et peintes dans nos appartements, tandis qu’il n’y a pas chez nous un homme de qualité qui ait un crucifix dans sa maison. Les papistes eux-mêmes ne célèbrent tous les ans la naissance de leur Dieu entre un bœuf et un âne qu’en s’en moquant par des chansons ridicules. Ce sont là les ruisseaux impurs dont j’ai voulu parler ; ce sont des outrages infâmes à la Divinité, au lieu que les emblèmes sublimes des Grecs rendent la Divinité respectable ; et quand je parle de leurs emblèmes sublimes, je n’entends pas Jupiter changé en taureau, en cygne, en aigle, pour ravir des filles et des garçons. Les Grecs ont eu plusieurs fables aussi absurdes et aussi révoltantes que les nôtres ; ils ont bu comme nous dans une multitude prodigieuse de ruisseaux impurs.

Le théisme ressemble à ce vieillard fabuleux nommé Pélias, que ses filles égorgèrent en voulant le rajeunir.