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ACTE I, SCÈNE IV.
Vers 6. Et m’aidez à venger cette commune injure,

n’appartient qu’à Corneille. Racine a imité ce vers dans Phèdre[1]:

  Déesse, venge-toi ; nos causes sont pareilles.

Mais, dans Corneille, il n’est qu’une beauté de poésie; dans Racine, il est une beauté de sentiment. Ce monologue pourrait aujourd’hui paraître une amplification, une déclamation de rhétorique : il est pourtant bien moins chargé de ce défaut que la scène de Sénèque.

Vers 31. Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits?
  M’ose-t-il bien quitter après tant de forfaits? etc.

Ces vers sont dignes de la vraie tragédie, et Corneille n’en a guère fait de plus beaux. Si, au lieu d’être noyés dans un long monologue inutile, ils étaient placés dans un dialogue vif et touchant, ils feraient le plus grand effet.

Ces monologues furent très-longtemps à la mode. Les comédiens les faisaient ronfler avec une emphase ridicule; ils les exigeaient des auteurs qui leur vendaient leurs pièces, et une comédienne qui n’aurait point eu de monologue dans son rôle n’aurait pas voulu réciter. Voilà comme le théâtre, relevé par Corneille, commença parmi nous. Des farceurs ampoulés représentaient, dans des jeux de paume, ces mascarades rimées qu’ils achetaient dix écus : les Athéniens en usaient autrement.

Vers 37. Lui font-ils présumer mon audace épuisée?

Le vers de Sénèque[2],

  Adeone crédit omne consumptum nefas?

paraît bien plus fort.

Vers 61. Soleil, qui vois l’affront qu’on va faire à ta race.
  Donne-moi tes chevaux à conduire en ta place.

Cette prière au Soleil, son père, est encore toute de Sénèque, et devait faire plus d’effet sur les peuples qui mettaient le soleil au rang des dieux que sur nous, qui n’admettons pas cette mythologie.

  1. Acte III, scène ii.
  2. Médée, II, 122.