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ACTE I, SCi:NE IV. 217

grand tort : car peut-on s'intéresser à la querelle du comte et de don Diègue, si on n'est pas instruit des amours de leurs enfants ? L'affront que Gormaz fait à don Diègue est un coup de théâtre quand on espère qu'ils vont conclure le mariage de Chimène avec Rodrigue. Ce n'est point jouer le Cid, c'est insulter son au- teur que de le tronquer ainsi*. On ne devrait pas permettre aux comédiens d'altérer ainsi les ouvrages qu'ils représentent.

Dans le Cid de Diamante, le roi donne la place de gouverneur de son fils, en présence du comte, et cela est encore plus théâ- tral. Le théâtre ne reste point vide. Il semble que Corneille aurait dû plutôt imiter Diamante que Castro dans cette intelligence du théâtre-.

Au reste, dans les deux pièces espagnoles, le comte de Gormaz donne un soufflet à don Diègue; ce soufflet était essentiel.

Les deux pères disent à peu près les mêmes choses dans ces deux scènes et dans les suivantes. Castro, qui vint après Dia- mante, ne fit point difficulté de prendre plusieurs pensées chez son prédécesseur, dont la pièce était presque oubliée. A plus forte raison Corneille fut en droit d'imiter les deux poètes espagnols, et d'enrichir sa langue des beautés d'une langue étrangère.

Vers 7. Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes.

Cette phrase a vieilli ; elle était fort bonne alors : il est hon- teux pour l'esprit humain que la même expression soit bonne en un temps, et mauvaise en un autre. On dirait aujourd'hui: tout grands que sont les rois; quelque grands que soient les rois.

Vers 17. Rodrigue aime Chimène, et ce digne sujet De ses affections est le plus cher objet ^.

Ce digne sujet ne se dirait pas aujourd'hui ; mais alors c'était une expression très-reçue : monsieur ne se dirait pas non plus dans une tragédie. Mettre une vanité au cœur serait une mauvaise façon de parler.

1. « C'est Jean-Baptiste Rousseau qui fit ce changement, et qui supprima le rôle de l'infante », dit Palissot. On a, dans ces derniers temps, rétabli le nom de l'infante à la Comédie-Française.

2. Encore une fois, ce n'est pas Corneille, mais Diamante, qui est l'imitateur. Nous ne le répéterons plus.

3. L'édition de 1604 porte :

Vous n'avez qu'une fille, et moi je n'ai qu'un fils; Leur hymen peut nous rendre à jamais plus qu'amis : Faites-nous cette grâce, et l'acceptez pour gendre.

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