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EXCUSE A ARISTE. 269

Là, content du succès que le mérite donne,

Par d'illustres avis je n'éblouis personne;

Je satisfais ensemble et peuple et courtisans;

Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans :

Par leur seule beauté ma plume est estimée ' ;

Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée;

Et pense, toutefois, n'avoir point de rival

A qui je fasse tort en le traitant d'égal.

Mais insensiblement je donne ici le change-.

Et mon esprit s'égare en sa propre louange :

Sa douceur me séduit, je m'en laisse abuser,

Et me vante moi-même au lieu de m'excuser.

Revenons aux chansons que l'amitié demande.

J'ai brûlé fort longtemps d'une amour assez grande ',

Et que jusqu'au tombeau je dois bien estimer,

Puisque ce fut par là que j'appris à rimer.

Mon bonheur commença cpiand mon âme fut prise.

Je gagnai de la gloire en perdant ma franchise.

Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour;

Et ce que j'ai de nom je le dois à l'amour.

J'adorai donc Phyllis, et la secrète estime

Que ce divin esprit faisoit de notre rime

��1. Par leur seule beauté ma plume est estimée ; Je no dois qu'à moi seul toute ma renommée.

Ces vers étaient d'autant plus révoltants qu'il n'avait fait encore aucun de ces ouvrages qui ont rendu son nom immortel. Il n'était connu que par ses pre- mières comédies et par sa tragédie de 3Iédée *, pièces qui seraient ignorées aujourd'hui si elles n'avaient été soutenues, depuis, par ses belles tragédies. Il n'est pas permis d'ailleurs de parler ainsi de soi-même. On pardonnera toujours à un homme célèbre de se moquer de ses ennemis, et de les rendre ridicules ; mais ses propres amis ne lui pardonneront jamais de se louer. ( \ote de Voltaire.)

2. Èdit. orig.: je baille ici le change.

3. J'ai brûlé foit longtemps d'une amour assez grande.

Il avait aimé très-passionnément une dame de Rouen, nommée M">* Dupont, femme d'un maître des comptes de la même ville, qui était parfaitement belle, qu'il avait connue toute petite fille pendant qu'il étudiait à Rouen, au collège des jésuites, et pour qui il fit plusieurs petites pièces de galanterie qu'il n'a jamais voulu rendre publiques, quelques instances que lui aient faites ses amis. Il les brûla lui-même environ deux ans avant sa mort. Il lui communiquait la plupart de ses pièces avant de les mettre au jour, et, comme elle avait beaucoup d'esprit, elle les critiquait fort judicieusement; en sorte que M. Corneille a dit plusieurs fois qu'il lui était redevable de plusieurs endroits de ses premières pièces. (Note ancienne qui se trouve dans les éditions de Corneille.) [Note de Voltaire.)

  • L'Excuse à Arisle a. iJto publiée après le succès du Ciel, au commencement de 1G3'7.

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