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316 ÉPITRE DÉDICATOIRH.

celle histoire, que j'ai mise sur noire théâtre, elles se soient tour à tour entre-produites dans son àme. Il avoif été si libéral envers Cinna que, sa conjuration ayant fait voir une ingratitude extraordinaire, il eut l)esoin d'un extraordinaire effort do clémence pour lui pardonner; et le pardon qu'il lui donna fut la source dos nouveaux bienfaits dont il lui fut prodigue, pour vaincre tout à fait cet esprit qui n'avoit pu ôtre gagné par les premiers; de sorte qu'il est vrai de dire qu'il eût été moins clément envers lui s'il eût été moins libéral, et qu'il eût été moins libéral s'il eût été moins clément. Cela étant, à qui pourrois-je plus justement donner le portrait de l'une de ces héroïques vertus qu'à celui qui possède l'autre en un si haut degré; puisque, dans cette action, ce grand prince les a si bien attachées, et comme unies l'une à l'autre, qu'elles ont été tout ensemble et la cause et l'effet l'une de l'autre?... Fo^re générosité, ii l'exemple de ce grand empereur', prend plaisir à s'étendre sur les gens de lettres, en un temps où beaucoup pensent avoir trop récompensé leurs travaux quand ils les ont honorés d'une louange stérile. Et certes vous avez traité quelques-unes de nos muses avec tant de magnanimité qu'en elles vous avez obligé toutes les autres, et qu'il n'en est point qui ne vous en doive un remeréicment. Trouvez donc bon, mon- sieur, que je m'acquitte de celui que je reconnois vous en devoir, par le présent que je vous fais de ce poëme, que j'ai choisi comme le plus durable des miens, pour apprendre plus longtemps à ceux qui le liront que le géné- reux M. de Montauron, par une libéralité inouïe en ce siècle, s'est rendu toutes les muses redevables, et que je prends tant de part aux bienfaits dont vous avez surpris quelques-unes d'elles que je m'en dirai toute ma vie,

MONSIliUll,

Votre très-humble et, très-obligé serviteur,

CORBEILLE.

��1. Voilà une étrange lettre, et pour le style, et pour les sentiments. On n'y reconnaît point la main qui crayonna Vaine du grand Pompée et Vesprit de Cinna. Celui qui faisait des vers si sublimes n'est plus le même en prose. On ne peut s'empêcher de plaindre Corneille, et son siècle, et les beaux-arts, quand on voit ce grand homme, négligé à la cour, comparer le sieur de Montauron à l'empereur Auguste. Si pourtant la reconnaissance arracha ce singulier hommage, il faut encore plus en louer Corneille que l'en blâmer ; mais on peut toujours l'en plaindre. {Note de Voltaire.)

— Voyez, en tête des Remarques sur OEdipe, les vers à Fouquet, où Cor- neille parle de la main qui crayonna, etc.

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