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NOTE[1]
SUR UNE PENSÉE DE VAUVENARGUES.




Vauvenargues a dit dans son ouvrage[2] : « Toutefois, avant qu’il y eût une première coutume, notre âme existait, et avait ses inclinations qui fondaient sa nature ; et ceux qui réduisent tout à l’opinion et à l’habitude ne comprennent pas ce qu’ils disent : toute coutume suppose antérieurement une nature ; toute erreur, une vérité. Il est vrai qu’il est difficile de distinguer les principes de cette première nature de ceux de l’éducation : ces principes sont en si grand nombre et si compliqués que l’esprit se perd à les suivre ; et il n’est pas moins malaisé de démêler ce que l’éducation a épuré ou gâté dans le naturel. On peut remarquer seulement que ce qui nous reste de notre première nature est plus véhément et plus fort que ce qu’on acquiert par étude, par coutume, et par réflexion ; parce que l’effet de l’art est d’affaiblir, lors même qu’il polit et qu’il corrige. »

Le marquis de Vauvenargues semble, dans cette pensée, approcher plus de la vérité que Pascal[3]. C’était un génie peut-être aussi rare que Pascal même ; aimant comme lui la vérité, la cherchant avec autant de bonne foi, aussi éloquent que lui, mais d’une éloquence aussi insinuante que celle de Pascal était ardente et impérieuse. Je crois que les pensées de ce jeune militaire philosophe seraient aussi utiles à un homme du monde fait pour la société

  1. Cette Note, qui était écrite de la main de Voltaire, trouve sa place après les Remarques sur les Pensées de Pascal. Elle a été publiée pour la première fois à la suite de la Notice sur la vie et les écrits de Vauvenargues, mise par Suard en tête de l’édition qu’il donna en 1806 des Œuvres de Vauvenargues. Reproduite aussi dans l’édition des Œuvres complètes de Vauvenargues, publiée par M. Brière en 1821, cette note a été admise pour la première fois dans les Œuvres de Voltaire, par M. A.-A. Renouard, en 1821, tome XLIII de son édition.
  2. Réflexions sur divers sujets, no 4, de la Nature et la Coutume.
  3. Dans cette pensée, « que ce que nous prenons pour la nature n’est souvent qu’une première coutume ».