Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/77

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aujourd’hui des yeux attentifs, ne pouvaient être connues des premiers chrétiens. Nous avons déjà remarqué que chaque petit troupeau avait son évangile à part : on ne pouvait comparer ; et quand même on l’aurait pu, pense-t-on que des esprits prévenus et opiniâtres auraient examiné ? Cela n’est pas dans la nature humaine. Tout homme de parti voit dans un livre ce qu’il y veut voir.

Ce qui est certain, c’est qu’aucun des compagnons de Jésu ne songeait alors à faire une religion nouvelle. Tous circoncis et non baptisés, à peine le Saint-Esprit était-il descendu sur eux en langues de feu dans un grenier, comme il a coutume de descendre, et comme il est rapporté dans le livre des actions des apôtres ; à peine eurent-ils converti en un moment dans Jérusalem trois mille voyageurs qui les entendaient parler toutes leurs langues étrangères, lorsque ces apôtres leur parlaient dans leur patois hébreu ; à peine enfin étaient-ils chrétiens qu’aussitôt ces compagnons de Jésu vont prier dans le temple juif, où Jésu allait lui-même. Ils passaient les jours dans le temple, perdurantes in templo[1]. Pierre et Jean montaient au temple pour être à la prière de la neuvième heure : Petrus[2] et Joannes ascendebant in templum ad horam orationis nonam.

Il est dit dans cette histoire étonnante des actions des apôtres, qu’ils convertirent et qu’ils baptisèrent trois mille hommes en un jour, et cinq mille en un autre. Où les menèrent-ils baptiser ? Dans quel lac les plongèrent-ils trois fois selon le rite juif ? La rivière du Jourdain, dans laquelle seule on baptisait, est à huit lieues de Jérusalem. C’était là une belle occasion d’établir une nouvelle religion à la tête de huit mille enthousiastes : cependant ils n’y songèrent pas. L’auteur avoue que les apôtres ne pensaient qu’à amasser de l’argent. « Ceux qui possédaient des terres et des maisons les vendaient, et en apportaient le prix aux pieds des apôtres. »

Si l’aventure de Saphira et d’Ananias était vraie, il fallait, ou que tout le monde, frappé de terreur, embrassât sur-le-champ le christianisme en frémissant, ou que le sanhédrin fît pendre les douze apôtres comme des voleurs et des assassins publics.

On ne peut s’empêcher de plaindre cet Ananias et cette Saphira, tous deux exterminés l’un après l’autre, et mourant subitement d’une mort violente (quelle qu’elle pût être), pour

  1. Actes des Apôtres, ch. ii. (Note de Voltaire.)
  2. Actes des Apôtres, ch. iii. (Id.)