Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/89

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rapporté ce fait dans sa lettre. Il n’y avait point d’académie chargée d’examiner si Polycarpe ayant été condamné à être brûlé dans Smyrne, une voix lui cria du haut d’une nuée : Macte animo Polycarpe[1] !si les flammes, au lieu de le toucher, formèrent un arc de triomphe autour de sa personne ; si son corps avait l’odeur d’un bon pain cuit ; si, ne pouvant être brûlé, il fut livré aux lions, lesquels se trouvent toujours à point nommé quand on a besoin d’eux ; si les lions lui léchèrent les pieds au lieu de le manger ; et si enfin le bourreau lui coupa la tête. Car il est à remarquer que les martyrs, qui résistent toujours aux lions, au feu, et à l’eau, ne résistent jamais au tranchant du sabre, qui a une vertu toute particulière.

Les centumvirs ne firent jamais d’enquête juridique pour constater si les sept vierges d’Ancyre, dont la plus jeune avait soixante et dix ans, furent condamnées à être déflorées par tous les jeunes gens de la ville ; et si le saint cabaretier Théodote obtint de la sainte Vierge qu’on les noyât dans un lac, pour sauver leur virginité.

On ne nous a point conservé l’original de la lettre que saint Grégoire Thaumaturge écrivit au diable, et de la réponse qu’il en reçut.

Tous ces contes furent écrits dans des galetas, et entièrement ignorés de l’empire romain. Lorsque ensuite les moines furent établis, ils augmentèrent prodigieusement le nombre de ces rêveries ; et il n’était plus temps de les réfuter et de les confondre.

Telle est même la misérable condition des hommes que l’erreur, mise une fois en crédit, et bien fondée sur l’argent qui en revient, subsiste toujours avec empire, lors même qu’elle est reconnue par tous les gens sensés, et par les ministres mêmes de l’erreur. L’usage alors et l’habitude l’emportent sur la vérité. Nous en avons partout des exemples. Il n’y a guère aujourd’hui d’étudiant en théologie, de prêtre de paroisse, de balayeur d’église, qui ne se moque des oracles des sibylles, forgés par les premiers chrétiens en faveur de Jésu, et des vers acrostiches attribués à ces sibylles. Cependant les papistes chantent encore dans leurs églises des hymnes fondées sur ces mensonges ridi-

  1. Dans l’ouvrage de Ruinart, intitulé Acta primorum martyrum sincera et selecta, traduit par Drouet de Maupertuis, il est dit que Polycarpe, entrant dans l’amphithéâtre pour subir son martyre, ouït une voix qui lui criait du haut du ciel: Polycarpe, ayez bon courage! Cette voix fut entendue des chrétiens, mais les païens n’en entendirent rien. » (B.)