Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/99

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DIOCLÉTIEN.

Soit. Et qui nous donnerez-vous pour l’autre césar ?

GALÉRIUS.

Le jeune Daïa, mon neveu, qui n’a presque point de barbe.

DIOCLÉTIEN, en soupirant.

Vous ne me donnez pas là des gens à qui l’on puisse confier les affaires de la république.

GALÉRIUS.

Je les ai mis à l’épreuve, cela suffit.

DIOCLÉTIEN.

Prenez-y garde ; c’est vous de qui tout cela dépend : s’il arrive malheur, ce n’est pas ma faute.

Voilà une étrange conversation entre les deux maîtres du monde. L’avocat Lactance était-il en tiers ? Comment les auteurs osent-ils, dans leur cabinet, faire parler ainsi les empereurs et les rois ? Comment ce pauvre Lactance est-il assez ignorant pour faire dire à Galérius que Nerva abdiqua l’empire, tandis qu’il n’y a point d’écolier qui ne sache que c’est une fausseté ridicule ? On a regardé ce Lactance comme un Père de l’Église, il fait voir qu’un Père de l’Église peut se tromper.

C’est lui qui cite un oracle d’Apollon pour faire connaître la nature de Dieu. « Il est par lui-même : personne ne l’a enseigné ; il n’a point de mère ; il est inébranlable ; il n’a point de nom ; il habite dans le feu : c’est là Dieu, et nous sommes une petite portion d’ange. »

Dieu, dit-il dans un autre endroit, « a-t-il besoin du sexe féminin ? Il est tout-puissant, et peut faire des enfants sans femme, puisqu’il a donné ce privilège à de petits animaux. »

Il cite des vers grecs de la sibylle Érythrée, pour prouver que l’astrologie et la magie sont des inventions du diable ; et d’autres vers grecs de la même sibylle, pour faire voir que Dieu a eu un fils.

Il trouve dans une autre sibylle le règne de mille ans, pendant lequel le diable sera enchaîné. On voit par là qu’il savait l’avenir tout comme il savait le passé.

Tel est le témoin des conversations secrètes entre deux empereurs romains. Mais que Dioclétien ait abdiqué par grandeur d’âme ou par faiblesse, cela ne change rien aux événements dont nous allons parler.

Nous observerons seulement ici que jamais l’histoire ne fut plus mal écrite que dans les temps qui suivirent la mort de