Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/185

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En général, les tragédies dans lesquelles la musique interrompt la déclamation font rarement un grand effet, parce que l’une étouffe l’autre. Si la pièce est intéressante, on est fâché de voir cet intérêt détruit par des instruments qui détournent toute l’attention. Si la musique est belle, l’oreille du spectateur retombe avec peine et avec dégoût de cette harmonie au récit simple.

Il n’en était pas de même chez les anciens, dont la déclamation, appelée mélopée, était une espèce de chant ; le passage de cette mélopée à la symphonie des chœurs n’étonnait point l’oreille et ne la rebutait pas.

Ce qui surprit le plus dans la représentation de la Toison d’or, ce fut la nouveauté des machines et des décorations, auxquelles on n’était point accoutumé. Un marquis de Sourdéac, grand mécanicien, et passionné pour les spectacles, fit représenter la pièce en 1660, dans le château du Neubourg en Normandie, avec beaucoup de magnificence. C’est ce même marquis de Sourdéac à qui on dut depuis en France l’établissement de l’opéra ; il s’y ruina entièrement, et mourut pauvre et malheureux pour avoir trop aimé les arts.

Les prologues d’Andromède et de la Toison d’or, où Louis XIV était loué, servirent ensuite de modèle à tous les prologues de Quinault ; et ce fut une coutume indispensable de faire l’éloge du roi à la tête de tous les opéras, comme dans les discours à l’Académie française.

Il y a de grandes beautés dans le prologue de la Toison d’or. Ces vers surtout, que dit la France personnifiée, plurent à tout le monde :

A vaincre tant de fois mes forces s’affoiblissent ;
L’État est florissant, mais les peuples gémissent ;
Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits ;
Et la gloire du trône accable les sujets.

Longtemps après il arriva, sur la fin du règne de Louis XIV, que cette pièce ayant disparu du théâtre, et n’étant lue tout au plus que par un petit nombre de gens de lettres, un de nos poëtes[1], dans une tragédie nouvelle, mit ces quatre vers dans la

  1. Ce poëte est Campistron, qui, dans son Tiridate, joué en 1691, a dit, acte II, scène ii :

    Je sais qu’en triomphant les États s’affoiblissent,
    Le monarque est vainqueur, et les peuples gémissent !
    Dans le rapide cours de ses vastes projets,
    La gloire dont il brille accable ses sujets.