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PRÉFACE DU COMMENTATEUR. 233

Tel était le style des pièces Les plus suivies; tel était ce mélange

perpétuel de comique et de tragique, qui avilissait le théâtre : l'amour n'était qu'une galanterie bourgeoise; le grand n'étail

que du boursouflé; l'esprit consistait en jeux de mois ci en pointes; tout était hors de la nature. Presque personne n'avail encore ni pensé ni parlé comme il faut dans aucun discours public.

Il est vrai que la Sophonisbe de Mairet avait un mérite très- nouveau en France: c'était d'être dans les règles du théâtre. Les trois unités, de lieu, de temps, et d'action, y sont parfaitement observées. On regarda son auteur comme le père de la scène française ; mais qu'est-ce que la régularité sans force, sans élo- quence, sans grâce, sans décence ? Il y a des vers naturels dans la pièce, et on admirait ce naturel qui approche du bas, parce qu'on ne connaissait point encore celui qui touche au sublime.

En général, le style de Mairet est ou ampoulé ou bourgeois. Ici c'est un officier du roi Massinisse qui, en annonçant que Sophonisbe est morte empoisonnée, dit au roi :

Si Votre Majesté désire qu'on lui montre Ce pitoyable objet, il est ici tout contre ; La porte de sa chambre est à deux pas d'ici, Et vous le pourrez voir de l'endroit que voici.

Là c'est Massinisse qui, en voyant Sophonisbe expirée, s'écrie en s'adressant aux yeux de cette beauté :

Vous avez donc perdu ces puissantes merveilles, Qui déroboient les cœurs et charmoient les oreilles, Clair soleil, la terreur d'un injuste sénat, Et dont l'aigle romain n'a pu souffrir l'éclat; Doncques votre lumière a donné de l'ombrage, etc.

On ne faisait guère alors autrement des vers.

Dans ce chaos à peine débrouillé de la tragédie naissante, on voyait pourtant des lueurs de génie ; mais surtout ce qui sou- tint si longtemps la pièce de Mairet, c'est qu'il y a de la vraie passion. Elle fut représentée sur la fin de 1634 l , trois ans avant le Cid, et enleva tous les suffrages. Les succès en tout genre dé- pendent de l'esprit du siècle. Le médiocre est admiré dans un temps d'ignorance ; le bon est tout au plus approuvé dans un temps éclairé.

1. Elle fut imprimée en 1G3,j ; mais elle avait été jouée en IG29, sept an^ avanl h Cid.

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