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ACTE IV, SCENE III. 243

d'avoir combattu les Romains, et s'excusant sur son imbécile et sévère esclavage, sur ses cheveux gris, sur les ardeurs ramassées dans ses veines glacées.

Ou demande pourquoi il n'est pas permis d'introduire dans la tragédie des personnages bas et méprisables. La tragédie, dit- on, doit peindre les mœurs des grands ; et parmi les grands il se trouve beaucoup d'hommes méprisables et ridicules. Cela est vrai; mais ce qu'on méprise ne peut jamais intéresser : il faut qu'une tragédie intéresse ; et ce qui est fait pour le pinceau de Téniers ne l'est pas pour celui de Raphaël.

SCÈNE III.

Vers 93. Vous parlez tant d'amour qu'il faut que je confesse

Que j'ai honte pour vous de voir tant de foiblesse, etc.

Il y a bien de la force et de la dignité dans les vers suivants ; c'est ce morceau singulier, ce sont quelques autres tirades contre la passion de l'amour, qui ont fait dire assez mal à propos que Corneille avait dédaigné de représenter ses héros amoureux. Le discours de Laelius est noble, et a quelque chose de sublime ; mais vous sentez que plus il est grand, plus il rend Massinisse petit. Massinisse est le premier personnage de la pièce, puisque c'est lui qui est passionné et infortuné. Dès que ce premier per- sonnage devient un subalterne traité avec mépris par son supé- rieur, il ne peut plus être souffert : il est impossible, comme on l'a déjà dit 1 , de s'intéresser à ce qu'on méprise. Quand le vieux don Diègue dit à Rodrigue, son fils :

L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir-,

il n'avilit point Rodrigue, il le rend même plus intéressant, en mettant aux prises sa passion avec l'amour filial; mais si un envoyé de Pompée venait reprocher à Mithridate sa faiblesse pour Monime, s'il insultait avec une dérision amère au ridicule d'un vieillard amoureux, jaloux de ses deux enfants, Mithridate ne serait plus supportable.

Il paraît que Lœlius se moque continuellement de Massinisse, et que ce prince n'exprime ni assez ce qu'il doit dire, ni assez bien ce qu'il dit.

��i. Voyez tome XXXI, pages 226, 408 ; et ci-dessus, page précédente. 2. Le Cid, acte III, scène vi.

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