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ACTE V, SCENE DERNIÈRE. 303

Et la pente est si douce à vanter ce qu'il vaut Que jamais on ne craint de l'élever trop haut.

C'est dans ce style ridicule que Corneille fait l'amour dans ses vingt dernières tragédies et dans quelques-unes des pre- mières. Quiconque ne sent pas ce défaut est sans aucun goût, et quiconque veut le justifier se ment à lui-même. Ceux qui m'ont fait un crime d'être trop sévère m'ont forcé à l'être véritable- ment, et à n'adoucir aucune vérité. Je ne dois rien à ceux qui sont de mauvaise foi. Je ne dois compte à personne de ce que j'ai fait pour une descendante de Corneille, et de ce que j'ai fait pour satisfaire mon goût. Je connais mieux les beaux mor- ceaux de ce grand génie que ceux qui feignent de respecter les mauvais. Je sais par cœur tout ce qu'il a fait d'excellent ; mais on ne m'imposera silence en aucun genre sur ce qui me paraît défectueux *.

Ma devise a toujours été : Fari qu% sentiam-.

��ACTE CINQUIEME.

SCÈNE DERNIÈRE.

Vers 22. Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs.

Ce vers fournira la seule remarque qu'on croie devoir faire sur la tragédie de Surina. Je ne pleure point, mais je meurs serait le sublime de la douleur si cette idée était assez ménagée, assez préparée pour devenir vraisemblable : car le vraisemblable seul peut toucher. Il faut, pour dire qu'on meurt de douleur, et pour en mourir en effet, avoir éprouvé, avoir fait voir un désespoir si violent qu'on ne s'étonne pas qu'un prompt trépas en soit la suite ; mais on ne meurt pas ainsi de mort subite après avoir fait des raisonnements politiques et des dissertations sur l'amour. Le vers par lui-même est très-tragique ; mais il n'est pas amené par des sentiments assez tragiques. Ce n'est pas assez qu'un vers soit beau, il faut qu'il soit placé, et qu'il ne soit pas seul de son espèce dans la foule.

1. Toutes ces déclarations de Voltaire ne se trouvent naturellement que dans la seconde édition des Commentaires, 1774.

2. Horace, livre I er , chap. iv, vers 9.

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