Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/366

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d’œuvre. On admira l’art avec lequel Quinault sut joindre l’éloge de Louis XIV avec le sujet de la pièce, la beauté des vers et celle de la musique. Le siècle de grandeur et de prospérité qui produisait ces brillants spectacles augmentait encore leur prix.

Aristote blâme fort les épisodes détachés.

Un épisode inutile à la pièce est toujours mauvais, et, en aucun genre, ce qui est hors d’œuvre ne peut plaire ni aux yeux, ni aux oreilles, ni à l’esprit. Nous avons dit ailleurs[1] que le Cid réussit malgré l’infante, et non pas à cause de l’infante. Corneille parle ici en homme modeste et supérieur.

Quoique… monsieur Tristan [auteur de Mariamne] eut bien mérité ce beau succès, par le grand effort d’esprit qu’il avoit fait à peindre les désespoirs d’Hérode, peut-être que l’excellence de l’acteur, qui en soutenoit le personnage, y contribuoit beaucoup.

La Mariamne de Tristan eut, en effet, longtemps une très-grande réputation. Nous avons entendu dire au comédien Baron que, lorsqu’il voulut débuter, Louis XIV lui faisait quelquefois réciter des vers de Mariamne. Les belles pièces de Corneille la firent enfin oublier.

DEUXIÈME DISCOURS.
DE LA TRAGÉDIE.

La tragédie a ceci de particulier que, par la pitié et la crainte, elle purge de semblables passions.

Nous avons dit un mot de cette prétendue médecine des passions[2] dans le Commentaire sur le premier discours. Nous pensons avec Racine, qui a pris le Phobos et l’Eleos pour sa devise, que, pour qu’un acteur intéresse, il faut qu’on craigne pour lui, et qu’on soit touché de pitié pour lui. Voilà tout. Que le spectateur fasse ensuite quelque retour sur lui-même, qu’il examine ou non quels seraient ses sentiments s’il se trouvait dans la situation du personnage qui l’intéresse ; qu’il soit purgé, ou qu’il ne soit pas purgé, c’est selon nous, une question fort oiseuse.

Paul Bény peut rapporter quinze opinions sur un sujet aussi

  1. Préface d’Œdipe, de 1730.
  2. Voyez page 349.