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CORRESPONDANCE.

Les plus grandes plaies, quand aucune partie essentielle n’est offensée, se referment aisément, soit qu’on les suce, soit qu’on les fomente avec du vin et de l’huile, soit qu’on se serve de l’eau de Rabel[1], soit qu’on y applique des emplâtres ordinaires, soit enfin qu’on n’y mette rien du tout. Mais lorsque les ressorts de la vie sont attaqués, alors le secours de toutes ces petites recettes devient inutile, et tout l’art des plus habiles chirurgiens suffit à peine : il en est de même de la petite vérole.

Lorsqu’elle est accompagnée d’une fièvre maligne, lorsque le volume du sang augmenté dans les vaisseaux est sur le point de les rompre, que le dépôt est prêt à se former dans le cerveau, et que le corps est rempli de bile et de matières étrangères, dont la fermentation excite dans la machine des ravages mortels, alors la seule raison doit apprendre que la saignée est indispensable ; elle épurera le sang, elle détendra les vaisseaux, rendra le jeu des ressorts plus souple et plus facile, débarrassera les glandes de la peau, et favorisera l’éruption ; ensuite les médecines, par de grandes évacuations, emporteront la source du mal, et, entraînant avec elles une partie du levain de la petite vérole, laisseront au reste la liberté d’un développement plus complet, et empêcheront la petite vérole d’être confluente ; enfin on voit que le sirop de limon, dans une tisane rafraîchissante, adoucit l’acrimonie du sang, en apaise l’ardeur, coule avec lui par les glandes miliaires jusque dans les boutons, s’oppose à la corrosion du levain, et prévient même l’impression que d’ordinaire les pustules font sur le visage.

Il y a un seul cas où les cordiaux, même les plus puissants, sont indispensablement nécessaires : c’est lorsqu’un sang paresseux, ralenti encore par le levain qui embarrasse toutes les fibres, n’a pas la force de pousser au dehors le poison dont il est chargé. Alors la poudre de la comtesse de Kent, le baume de Vanseger, le remède de M. Aignan[2], etc., brisant les parties de ce sang presque figé, le font couler plus rapidement, en séparant la matière étrangère, et, ouvrent les passages de la transpiration au venin qui cherche à s’échapper.

Mais, dans l’état où je suis, ces cordiaux m’eussent été mor-

  1. Aqua rabelliana, ainsi appelée du nom d’un empirique nommé Rabel, qui mit ce médicament en vogue. (Cl.)
  2. François Aignan, né à Orléans, mort au commencement de 1709 ; capucin connu dans son ordre sous le nom de P. Tranquille, et médecin inventeur d’un remède contre la petite vérole, ainsi que d’une préparation huileuse encore nommée en pharmacie baume tranquille. ( Cl.)