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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/131

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ANNÉE 1724.

pour la duchesse de Béthune[1] ; mais, comme ils sont faits à Forges, où l’on n’en a jamais fait de bons, je n’ose vous les envoyer.



114. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Forges, 20 juillet.

Je voudrais bien que vous ne sussiez rien de la nouvelle d’Espagne ; j’aurais le plaisir de vous apprendre que le roi[2] d’Espagne vient de faire enfermer madame son épouse, fille de feu M. le duc d’Orléans, laquelle, malgré son nez pointu et son visage long, ne laissait pas de suivre les grands exemples de mesdames ses sœurs. On m’a assuré qu’elle prenait quelquefois le divertissement de se mettre toute nue avec ses filles d’honneur les plus jolies, et, en cet équipage, de faire entrer chez elle les gentilshommes les mieux faits du royaume. On a cassé toute sa maison, et on n’a laissé auprès d’elle, dans le château où elle est enfermée, qu’une vieille bégueule d’honneur. On assure que, quand la pauvre reine s’est trouvée renfermée avec cette duègne, elle a pris la résolution courageuse de la jeter par la fenêtre, et qu’elle en serait venue à bout si on n’était pas venu au secours. Je crois que cette aventure pourra bien servir à faire renvoyer plus tôt notre petite infante[3]. Vous voyez que je deviens politique avec les ambassadeurs[4]. Jusqu’à présent j’ai borné toute ma politique à ne point aller à Vienne, et à m’arranger pour vous revoir à la Rivière. Les eaux me font un bien auquel je ne m’attendais pas. Je commence à respirer et à connaître la santé ; je n’avais jusqu’à présent vécu qu’à demi. Dieu veuille que ce petit rayon d’espérance ne s’éteigne pas bientôt ! Il me semble que j’en aimerai bien mieux mes amis quand je ne souffrirai plus. Je ne serai plus

  1. Julie-Christine d’Entraigues, mariée, en 1709, au duc de Béthune-Charost ; morte en 1737. C’est à cette dame, un peu mondaine et trop dévote, que Voltaire adressa l’épitre qui commence par ce vers :

    Tu sortais des bras du sommeil.

  2. Louis Ier, proclamé roi le 17 janvier 1724, avait épousé, deux ans auparavant, une des filles du Régent, Louise-Elisabeth. Louis étant mort le 31 auguste suivant, sa veuve fut promptement renvoyée à Paris, où elle mourut, selon l’Art de vérifier les dates, dans les exercices de la plus haute piété, le 16 juin 1742. (Cl.)
  3. Marie-Anne Victoire, infante d’Espagne, née en 1718, fut mariée, en 1729, au prince de Brésil, depuis roi de Portugal sous le nom de Joseph Ier.
  4. Allusion à son intimité avec Richelieu, qui avait été nommé ambassadeur extraordinaire à Vienne, en mai 1724.