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CORRESPONDANCE.

j’ai bien peur que quelqu’un plus pressé que vous ne vous ait prévenu[1], en traduisant le premier tome, qui est fait pour plaire à toutes les nations, et qui n’a rien de commun avec le second.

À l’égard de vous envoyer des livres pour une somme d’argent considérable, j’aimerais mieux que vous dépensassiez cet argent à faire le voyage.

Vous savez peut-être que les banqueroutes sans ressources que j’ai essuyées en Angleterre[2], le retranchement de mes rentes, la perte de mes pensions, et les dépenses que m’ont coûté les maladies dont j’ai été accablé ici, m’ont réduit à un état bien dur. Si Noël Pissot voulait me payer ce qu’il me doit, cela me mettrait en état, mon cher ami, de vous envoyer une partie de la petite bibliothèque dont vous avez besoin.

Si vous avez quelques heures de loisir, pourriez-vous vous transporter chez M. Dubreuil, cloître Saint-Merry, dans la maison de M. l’abbé Moussinot[3] ? Il est chargé de plusieurs billets de Ribou[4], de Pissot, et de quelques autres, que j’ai mis entre ses mains. Il vous remettra lesdits billets sur cette lettre. Vous pouvez mieux que personne tirer quelque argent de ces messieurs, que vous connaissez. Si cela est trop difficile, et si ces messieurs profitent de mes malheurs et de mon absence pour ne me point payer, comme ont fait bien d’autres, il ne faut pas, mon cher enfant, vous donner des mouvements pour les mettre à la raison : ce n’est qu’une bagatelle. Le torrent d’amertume que j’ai bu fait que je ne prends pas garde à ces petites gouttes.

Si vous avez envie de voir des vers écrits avec quelque force, donnez-vous la peine d’aller chez M. de Maisons : il vous montrera une petite parcelle de morceaux détachés de la Henriade, que je lui envoyai, il y a quelque temps, en dépôt, parce que vous étiez au diable, et qu’on n’entendait point parler de vous.

Adieu, mon très-cher Thieriot ; je vous embrasse mille fois.

  1. Desfontaines, qui en effet devança Thieriot.
  2. Un juif, nommé d’Acosta, sur lequel il avait une lettre de change, venait de faire faillite.
  3. Moussinot « était un chanoine de Saint-Merry, un homme de bien, un homme simple et vertueux, attaché à ses devoirs d’ecclésiastique, de chanoine, et d’ami… Le chapitre de Saint-Merry lui confia sa caisse, les jansénistes le firent dépositaire de la leur ; Voltaire lui remit la sienne : elle ne pouvait être en de meilleures mains. C’était une singularité de voir un même ecclésiastique trésorier, en même temps, d’un chapitre, d’une secte, et d’un philosophe ; remplissant, avec exactitude et un secret religieux, les devoirs de ce triple état ». (Note de Duvernet.)
  4. Pierre Ribou, libraire qui donna, en 1719, la première édition d’Œdipe.