Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/321

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un talent bien décidé qu’il a pour les vers ; vous vous attacherez, pour le reste de votre vie, quelqu’un d’aimable, qui vous devra tout ; vous aurez le plaisir d’avoir tiré le mérite de la misère, et de l’avoir mis dans la meilleure école du monde. Au nom de Dieu, réussissez dans cette affaire pour votre plaisir, pour votre honneur, pour celui de Mme  du Maine, et pour l’amour de Formont, qui vous en prie par moi.

Adieu, madame ; je vous suis attaché comme l’abbé Linant vous le sera, avec le plus respectueux et le plus tendre dévouement.


290. — Á M. DE CIDEVILLE.

J’ai envoyé, mon très-aimable Cideville, une petite boîte à Jore, contenant deux chiffons d’espèce très-différente. L’un est un parchemin[1], avec un tel est notre plaisir ; l’autre est une Èpître dèdicatoire de Zaïre, moitié vers, moitié prose, dans laquelle j’ai mis plus d’imagination qu’il n’y en a dans cet autre ouvrage en parchemin. J’ai bien recommandé à Jore de vous porter cette épître ; il y a bien des choses à réformer, avant qu’on l’imprime. Je ne sais même si la délicatesse excessive de ceux qui sont chargés de la librairie ne se révoltera pas un peu contre la liberté innocente de cet ouvrage. J’en ai adouci quelques traits, et je le communique corrigé à M. Rouillé, afin qu’il donne au moins une permission tacite, et que Jore ne puisse être inquiété.

À l’égard de l’impression de Zaïre, je ne peux faire ce que Jore demande ; mais je le dédommagerai en lui faisant imprimer mes Lettres anglaises, qui composeront un volume assez honnête. Je compte que vous verrez bientôt ces guenilles ; mais je vous supplie surtout de bien recommander à Jore de ne pas tirer un seul exemplaire de Zaïre par delà les deux mille cinq cents que je lui ai prescrits. Il ne faut pas que personne en puisse avoir, avant que je l’aie présentée au garde des sceaux.

Pour notre abbé Linant, je crois qu’il retournera bientôt à Rouen ; j’ai été assez malheureux pour lui être inutile à Paris. Mais que faire de lui ? Il ne sait pas seulement écrire assez lisiblement pour être secrétaire, et j’ai bien peur qu’il n’ait la vertu aimable de la paresse, qui devient un grand vice dans un homme qui a sa fortune à faire. Il a de l’esprit, du goût, de la sagesse ; je ne doute pas qu’il ne fasse tôt ou tard sa fortune, s’il veut joindre à cela un peu de travail.

  1. C’était le privilège pour l’impression de Zaïre.