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ANNÉE 1713.

qu’enfin mon père a une lettre de cachet pour me faire enfermer ; je n’ose me montrer : j’ai fait parler à mon père. Tout ce qu’on a pu obtenir de lui a été de me faire embarquer pour les îles ; mais on n’a pu le faire changer de résolution sur son testament qu’il a fait, dans lequel il me déshérite. Ce n’est pas tout, depuis plus de trois semaines je n’ai point reçu de vos nouvelles ; je ne sais si vous vivez et si vous ne vivez point bien malheureusement ; je crains que vous ne m’ayez écrit à l’adresse de mon père, et que votre lettre n’ait été ouverte par lui. Dans de si cruelles circonstances je ne dois point me présenter à messieurs vos parents ; ils ignoreront tous que c’est par moi que vous revenez en France, et c’est actuellement le P. Tournemine qui est entièrement chargé de votre affaire. Vous voyez à présent que je suis dans le comble du malheur, et qu’il est absolument impossible d’être plus malheureux, à moins que d’être abandonné de vous. Vous voyez, d’un autre côté, qu’il ne tient plus qu’à vous d’être heureuse ; vous n’avez plus qu’un pas à faire : partez dès que vous aurez reçu les ordres de monsieur votre père ; vous serez aux Nouvelles-Catholiques avec Mme  Constantin[1] ; il vous sera aisé de vous faire chérir de toute votre famille, et de gagner entièrement l’amitié de monsieur votre père, et de vous faire à Paris un sort heureux. Vous m’aimez, ma chère Olympe, vous savez combien je vous aime ; certainement ma tendresse mérite du retour. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour vous remettre dans votre bien-être ; je me suis plongé, pour vous rendre heureuse, dans le plus grand des malheurs : vous pouvez me rendre le plus heureux de tous les hommes ; pour cela revenez en France, rendez-vous heureuse vous-même, alors je me croirai bien récompensé. Je pourrai, en un jour, me raccommoder entièrement avec mon père ; alors nous jouirons en liberté du plaisir de nous voir. Je me représente ces moments heureux comme la fin de tous nos chagrins, et comme le commencement d’une vie douce et aimable, telle que vous devez la mener à Paris. Si vous avez assez d’inhumanité pour me faire perdre le fruit de tous mes malheurs, et pour vous obstiner à rester en Hollande, je vous promets bien sûrement que je me tuerai à la première nouvelle que j’en aurai. Dans le triste état où je suis, vous seule pouvez me faire aimer la vie ; mais, hélas ! je parle ici de mes maux, tandis que peut-être vous êtes plus malheureuse que moi : je crains tout pour votre santé, je crains tout de votre mère ; je me forme là-dessus

  1. Sœur de Mme  Dunoyer, qui s’était mariée en 1708, et était revenue à Paris.