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Celui qui écrit est comme un malade qui ne sent pas, et celui qui lit peut donner des conseils au malade. Ceux que vous me donnez sur Adélaïde sont d’un homme bien sain ; mais, pour parler sans figures, je ne suis plus guère en état d’en profiter. On va jouer la pièce ; jacta est alea[1].

Adieu ; dites à M. de Formont combien je l’aime. Je suis trop malade pour en écrire davantage.


383. — Á M. DE CIDEVILLE.
À Paris, ce 5 décembre.

J’ai été bien malade, mon très-cher ami ; je le suis encore, et le peu de forces que j’ai, c’est l’amitié qui me les donne ; c’est elle qui me met la plume à la main pour vous dire que j’ai montré à Emilie votre épitre allégorique. Elle en a jugé comme moi, et m’a confirmé dans l’opinion où je suis qu’en arrachant une infinité de fleurs que vous avez laissées croître, sans y penser, autour de l’arbre que vous plantiez, il n’en croîtra que mieux, et n’en sera que plus beau. Vous êtes un grand seigneur à qui son intendant prêche l’économie. Soyez moins prodigue, et vous serez beaucoup plus riche. Vous en convenez : voici donc quel serait mon petit avis, pour arranger les affaires de votre grande maison.

J’aime beaucoup ces vers :

J’étais encor dans l’âge où les désirs
Vont renaissant dans le sein des plaisirs, etc.

De là je voudrais vous voir transporté, par votre démon de Socrate, au temple de la Raison ; et cela, bien clairement, bien nettement, et sans aucune idée étrangère au sujet. Le Temps, dont vous faites une description presque en tout charmante, présente à cette divinité tous ceux qui se flattent d’avoir autrefois bien passé le temps. Jetez-vous dans les portraits ; mais que chacun fasse le sien, en se vantant des choses mêmes que la raison condamne ; par là chaque portrait devient une satire utile et agréable. Point de leçon de morale, je vous en prie, que celle qui sera renfermée dans l’aveu ingénu que feront tous les sots de l’impertinente conduite qu’ils ont tenue dans leur jeunesse. Ces moralités, qui naissent du tableau même, et qui entrent dans le

  1. C’est le mot de César : voyez Suétone, Jules César, chap. xxxii.