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ANNÉE 1715.

tous les matins quelques prises de séné et de casse, et le soir plusieurs prises du comte d’Uzès. N*** adore toujours la dégoûtante Lavoie, et le maigre N*** a besoin de recourir aux femmes, car les hommes l’ont abandonné. Au reste, on ne nous donne plus que de très-mauvaises pièces, jouées par de très-mauvais acteurs. En récompense, Mlle  de Moutbrun[1] récite très-joliment des pièces comiques. Je l’ai entendue déclamer des rôles du Misanthrope avec beaucoup d’art et beaucoup de naturel. Je ne vous dis rien de l’Important[2], car je vous écris avant la représentation, et je veux me réserver une occasion de vous écrire une seconde fois.

On joue à l’Opéra Zéphyre et Flore[3]. On imprime l’Anti-Homère de Terrasson[4], et les vers héroïques, moraux, chrétiens, et galants, de l’abbé du Jarry[5]. Jugez, madame, si on peut en conscience m’interdire la satire ; permettez-moi donc d’être un peu malin.

J’ai pourtant une plus grande grâce à vous demander : c’est la permission d’aller rendre mes devoirs à M. de Mimeure et à vous, dans l’un de vos châteaux où peut-être vous ennuyez-vous quelquefois. Je sais bien que je perdrais auprès de vous tout le fiel dont je me nourris à Paris ; mais afin de ne me pas gâter tout à fait, je ne resterais que huit ou dix jours avec vous. Je vous apporterais ce que j’ai fait d’Œdipe. Je vous demanderais vos conseils sur ce qui est déjà fait, et sur ce qui n’est pas travaillé, et j’aurais à M. de Mimeure et à vous une obligation de faire une bonne pièce.

Je n’ose pas vous parler des occupations auxquelles vous avez dit que vous vous destiniez pendant votre solitude. Je me flatte pourtant que vous voudrez bien m’en faire la confidence tout entière :

Car nous savons que Vénus et Minerve
De leurs trésors vous comblent sans réserve.

    elle avait préféré le duc d’Uzès, mort en 1736 (voyez, tome X, page 220. l’Épitre à Mme  de Montbrun), fit en 1720, sur Mlle  Duclos, un couplet qui est dans les Poésies mêlées, tome X, page 471.

  1. Probablement la sœur ou la belle-sœur de Mme  de Montbrun-Villefranche, à qui Voltaire adressa une épitre. (Cl.)
  2. L’Important, comédie de Brueys, jouée en 1693, fut reprise le 8 juillet 1715 ; ce qui donne la date de cette lettre.
  3. Tragédie-opéra de Duboulai, musique des fils de Lulli (Jean-Louis et Louis), représentée en 1688, et reprise en 1715. (K.)
  4. Dissertation critique sur l’Iliade d’Homère, 1715, 2 vol. in-12.
  5. Poésies chrétiennes, héroïques et morales, par l’abbé Juillard du Jarry, 1715, in-12. Du Jarry avait, en 1714, remporté le prix de poésie ; voyez tome XXii, page 1.