Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/482

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ne gardera point la Rivière-Bourdet. Il serait pourtant bien doux, mon cher ami, que nous pussions être un peu les maîtres de sa maison. Mais il sera dit que nous passerons notre vie à faire le projet de vivre ensemble. Quoi ! vous venez une fois en vingt ans à Paris, et c’est justement le moment où il ne m’est pas permis d’y revenir ! Vous n’avez vu ni Émilie ni moi. Il vaudrait un peu mieux, mon cher ami, se rassembler chez Émilie que chez la veuve de Gilles. Ce n’est pas que je n’aie pour notre présidente tous les égards d’une ancienne amitié, mais, franchement, vous conviendrez, quand vous aurez vu Émilie, qu’il n’y a point de présidente qui en approche. Mandez-moi si elle ne vous a point écrit depuis peu : car vous connaissez son écriture avant de connaître sa personne. Vous vous écrivez quelquefois, et vous êtes déjà amis intimes, sans vous être parlé. On m’a mandé que l′Épître à Émilie courait le monde ; mais j’ai peur qu’elle ne soit défigurée étrangement. Les pièces fugitives sont comme les nouvelles : chacun y ajoute, ou en retranche, ou en falsifie quelque chose selon le degré de son ignorance et de sa mauvaise volonté. Si vous voulez, je vous l’enverrai bien correcte. Je rougis, mon cher Cideville, en vous parlant de vous envoyer mes ouvrages. Il y a si longtemps que je vous en promets une petite édition manuscrite que j’aurais eu depuis le temps de composer un infolio. Aussi, depuis ma retraite il faut que je vous avoue que j’ai fait environ trois ou quatre mille vers. Ce sont de nouvelles dettes que je contracte avec vous, sans avoir acquitté les premières ; mais je vous jure que je vais travailler à vous payer tout de bon. J’ai certain valet de chambre[1] imbécile qui me sert de secrétaire, et qui écrit : le général F… tout au lieu du général Toutefêtre ; c’est donner un grand c…., pour une grande leçon ; ils précipitaient leurs repas, au lieu de ils précipitaient leurs pas. Ce secrétaire n’est pas trop digne de travailler pour vous ; mais je reverrai ses bévues et les miennes. Êtes-vous à présent à Rouen ? Y avez-vous vu l’ami Formont et l’ami du Bourg-Theroulde ? Faites sentir à M. du Bourg-Theroulde combien je l’aime, et prouvez à M. de Formont la même chose. Dites au premier que je fais beaucoup de petits vers, et que j’aime passionnément la musique ; dites à l’autre que j’ai un petit Traité de métaphysique tout prêt. Tout cela est vrai à la lettre. Voici un petit mot pour M. Linant. Adieu, mon très-cher ami ; je suis à vous pour la vie ; faudra-t-il la passer à regretter votre commerce charmant ?

  1. Voyez la lettre 337.