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ANNÉE 1716.
23. — À M. L’ABBÉ DE CHAULIEU.
De Sully, 15 juillet 1716.

À vous, l’Anacréon du Temple ;
À vous, le sage si vanté,
Qui nous prêchez la volupté
Par vos vers et par votre exemple,
Vous dont le luth délicieux.
Quand la goutte au lit vous condamne,
Rend des sons aussi gracieux
Que quand vous chantez la tocane[1],
Assis à la table des dieux.

Je vous écris, monsieur, du séjour du monde le plus aimable, si je n’y étais point exilé, et dans lequel il ne me manque, pour être parfaitement heureux, que la liberté d’en pouvoir sortir. C’est ici que Chapelle a demeuré, c’est-à-dire s’est enivré deux ans de suite. Je voudrais bien qu’il eût laissé dans ce château un peu de son talent poétique : cela accommoderait fort ceux qui veulent vous écrire. Mais, comme on prétend qu’il vous l’a laissé tout entier, j’ai été obligé d’avoir recours à la magie, dont vous m’avez tant parlé ;

Et dans une tour assez sombre
Du château qu’habita jadis
Le plus léger des beaux esprits,
Un beau soir j’évoquai son ombre.
Aux déités des sombres lieux
Je ne fis point de sacrifice.
Comme ces fripons qui des dieux
Chantaient autrefois le service ;
Ou la sorcière Pythonisse,
Dont la grimace et l’artifice
Avaient fait dresser les cheveux
À ce sot prince des Hébreux,
Qui crut bonnement que le diable
D’un prédicateur ennuyeux
Lui montrait le spectre effroyable.
Il n’y faut point tant de façon
Pour une ombre aimable et légère :
C’est bien assez d’une chanson,
Et c’est tout ce que je puis faire.

  1. Vin nouveau d’Aï. C’est le sujet d’un petit poëme de Chaulieu.