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509. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 20 septembre, à Cirey, par Vassy.

Que devient mon cher Cideville ?
Et pourquoi ne m’écrit-il plus ?
Est-ce Thémis, est-ce Vénus
Qui l’a rendu si difficile ?

Soit que d’un vieux papier timbré
Il débrouille le long grimoire,
Soit qu’un tendre objet adoré
Lui cède une douce victoire ;

Il faut que, loin de m’oublier,
Il m’écrive avec allégresse,
Ou sur le dos de son greffier.
Ou sur le cul de sa maîtresse.

Ah ! datez du cul de Manon ;
C’est de là qu’il me faut écrire ;
C’est le vrai trépied d’Apollon,
Plein du beau feu qui vous inspire.

Écrivez donc des vers badins ;
Mais, en commençant votre épître,
La plume échappe de vos mains,
Et vous f… votre pupitre.

Mais d’où vient que j’écris de ces vilenies-là ? C’est que je deviens grossier, mon cher ami, depuis que vous m’abandonnez. Savez-vous bien qu’il y a plus de trois mois que je n’ai mis deux rimes l’une auprès de l’autre ? J’avais compté que Linant soufflerait un peu mon feu poétique, qui s’éteint ; mais le pauvre homme passe sa vie à dormir, et, qui pis est, non somniat in Parnasso[1]. Il ne cultive en lui d’autre talent que celui de la paresse. Son corps et son âme sacrifient à l’indolence : c’est là sa voca-

    s’appelle Cirey, à quatre milles de Vassy en Champagne, sur la route de Saint-Dizier, et à huit milles de cette ville. La poste y passe. Là demeure une jeune dame, appelée la marquise du Châtelet, à qui j’ai enseigné l’anglais, et qui a le plus grand désir de vous voir. Vous vous arrêterez ici, si vous vous souvenez de votre ami. (A. F.)

  1. Nec in bicipiti somniasse Parnasso
    Memini.

    (Pers., Prolog., v. 2.)