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ANNÉE 1735.

sots de qualité, qui préfèreront votre clinquant à tout l’or de Virgile[1] ? Qui vous jugera, si vous nous récusez ? Je veux bien que vous sachiez qu’en toutes sortes de matières, et même sur vos ouvrages de poésie, je suis en état de vous donner des conseils, ayant l’étude et le jugement nécessaires, et un goût qui passe pour assez sûr. Les peintres ne sont pas les plus grands connaisseurs en peinture. Nos critiques, dites-vous, sont faites avec bien peu de goût. Eh ! monsieur, à peine avez-vous été effleuré. Que serait-ce si on avait voulu remarquer tout ce qu’il y a de répréhensible dans vos ouvrages ? Heureusement vous êtes le seul de votre avis, si ce n’est quelque bel esprit de café qui est au comble de la joie de voir que vous pensez comme lui. Cependant personne n’ose s’en prévaloir, tant votre suffrage est de poids.

Si vous me dites que vous avez autrefois écrit à La Roque[2] dans un moment de colère, je vous répondrai que vous deviez vous en souvenir ensuite après l’armistice, et écrire à ce galant homme, dont vous avez fait le panégyrique, de ne pas publier ce qui vous était échappé. La Roque, par reconnaissance, n’a pas dû manquer de vous servir en cette occasion, et je ne puis me plaindre de lui ; mais il est arrivé que le bonhomme, en vous obéissant ponctuellement, vous a rendu très-ridicule.

Enfin, monsieur, le trait du Mercure sera à jamais entre nous le libelle du divorce[3] si vous ne parlez autrement dans une lettre que vous aurez soin de faire imprimer dans le Mercure ou ailleurs, et incessamment. Votre apologie du tutoiement donne lieu à mille plaisanteries. Savez-vous que le tutoiement est la source de votre affaire de 1725. Le vers de Lamotte, Taisez-vous, me dis-tu, paraît admirable aujourd’hui. Ce que vous dites des quakers ne fait rien à votre pièce : un quaker, malgré vos belles Lettres, est un fou, selon tous les Anglais et les Français de bon sens. Lisez l′Histoire du fanatisme et celle des Variations de M. Bossuet.

Je ne veux point avoir de querelle avec vous, ni vous donner lieu de me dire des injures grossières en public, ce qui serait suivi de ripostes de ma part : il n’y aurait qu’à perdre pour nous deux. Cependant soyez persuadé que je viendrai à bout, par la justesse de mes raisonnements et peut-être par quelque autre autorité que j’ai acquise dans notre république des lettres, de vous faire passer pour le Claudien du siècle : car, en matière de théâtre, il ne serait pas seulement question de vous. C’est alors que vous direz que mes critiques sont faites avec bien peu de goût ; mais vous ne serez pas plus cru que dans vos décisions du Temple du Goût.

Enfin, monsieur, il est honteux et contre toutes les règles de l’honneur

  1. Boileau a dit, satire iv :

    Tous les jours, à la cour, un sot de qualité
    Peut juger de travers avec impunité ;
    À Malherbe, à Racan, préférer Théophile,
    Et le clinquant du Tasse à tout l’or de Virgile.

  2. Antoine de La Roque, qui avait obtenu le privilège du Mercure en 1721, et à qui est adressée la lettre 277.
  3. Libellus repudii, expression biblique.