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du sujet de ma pièce (qui n’est point Montézume[1]), en ayant parlé à M. Lefranc, il s’est hâté de bâtir sur mon fonds ; et je ne doute pas qu’il n’ait mieux réussi que moi. Il est plus jeune et plus heureux. Il est vrai que, si j’avais eu un sujet à traiter, je ne lui aurais pas pris le sien. J’aurais eu pour lui cette déférence que la seule politesse exige. Tout ce que je peux faire, à présent, c’est de lui applaudir, si sa pièce est bonne, et d’oublier son mauvais procédé, à proportion du plaisir que me feront ses vers. Je ne veux point de guerre d’auteurs. Les belles-lettres devraient lier les hommes ; elles les rendent d’ordinaire ennemis. Je ne veux point ainsi profaner la littérature, que je regarde comme le plus bel apanage de l’humanité. Adieu, monsieur ; je suis bien touché des marques d’amitié que vous me donnez ; et c’est pour la vie.


537. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, le 20 décembre.

Je suis toujours d’avis qu’il ne soit plus question des grands cheveux plats de Samson ; je gagnerai à cela une sottise sacrée de moins, et ce sera encore une scène de récitatif retranchée. Je n’entends pas trop ce qu’on veut dire par une Dalila intéressante. Je veux que ma Dalila chante de beaux airs, où le goût français soit fondu dans le goût italien. Voilà tout l’intérêt que je connais dans un opéra. Un beau spectacle bien varié, des fêtes brillantes, beaucoup d’airs, peu de récitatifs, des actes courts, c’est là ce qui me plaît. Une pièce ne peut être véritablement touchante que dans la rue des Fossés-Saint-Germain[2]. Phaéton, le plus bel opéra de Lulli, est le moins intéressant.

Je veux que le Samson soit dans un goût nouveau ; rien qu’une scène de récitatif à chaque acte, point de confident, point de verbiage. Est-ce que vous n’êtes pas las de ce chant uniforme et de ces eu perpétuels qui terminent, avec une monotonie d’antiphonaire, nos syllabes féminines ? C’est un poison froid qui tue notre récitatif. Mandez-moi sur cela l’avis de Pollion et de Bernard.

Ne pourriez-vous point savoir ce que le plagiaire de Metastasio et le mien a pris de mes Américains ? J’aurais peut-être le temps de changer ce qu’il a imité. Je ferais comme les gens

  1. Le bruit avait couru, et des journaux avaient annoncé, que la tragédie de Voltaire était intitulée Montézume. Il existe sous ce titre une pièce jouée en 1702. Voyez la note tome II, page 320.
  2. Le Théâtre-Français y a été de 1689 à 1770.