Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/112

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quante, de soixante ans, et être exposé à la honte d’étudier soi-même, après avoir si longtemps enseigné aux autres, et d’un grand flambeau qu’on croit être, ne devenir qu’une faible lumière, ou plutôt s’obscurcir tout à fait ? Ce n’est pas ainsi qu’on l’entend. Il est plus court de décrier un nouveau svstème que de l’approfondir. Il y a même de la fermeté héroïque de s’opposer aux nouveautés en tous genres, et à soutenir les anciennes opinions. Un autre ordre d’esprits raisonne d’une autre manière. Ils disent dans leur simplicité : Telle opinion fut celle de nos pères, pourquoi ne serait-elle pas la nôtre ? Valons-nous mieux qu’ils ne valaient ? N’ont-ils pas été heureux en suivant les sentiments d’Aristote et de Descartes ? Pourquoi nous romprions-nous la tête à étudier les sentiments des novateurs ? Ces sortes d’esprits s’opposeront toujours aux progrès des connaissances ; aussi n’est-il pas étonnant qu’elles en fassent si peu.

Dès que je serai de retour à Remusberg, j’irai me jeter tête baissée dans la physique ; c’est la marquise à qui j’en ai l’obligation ; je me prépare aussi à une entreprise bien hasardeuse et bien difficile[1] ; mais vous n’en serez instruit qu’après l’essai que j’aurai fait de mes forces.

Pour mon malheur le roi va ce printemps en Prusse, où je l’accompagnerai, le destin veut que nous jouions aux barres, et, malgré tout ce que je puis m’imaginer, je ne prévois pas encore comme nous pourrons nous voir ; ce sera toujours trop tard pour mes souhaits ; vous en êtes bien convaincu, à ce que j’espère, comme de tous les sentiments avec lesquels je suis, mon cher ami, votre inviolablement affectionné ami,

Fédéric

1012. — À M. BERGER.
À Cirey, le 9 janvier.

Mon cher ami, une nièce[2], que j’ai mariée, a passé sept mois sans m’écrire, et au bout de ce temps elle me demande pardon. Je lui réponds en termes honnêtes, en l’envoyant faire … avec ses pardons ; car je ne suis point tyran, et, si je suis aimé, je crois tous les devoirs remplis. Venons à l’application : il est vrai que vous ne m’avez point marié ; mais il y a longtemps que je ne vous ai écrit. Envoyez-moi faire …, et aimez-moi.

Grand merci de vos anecdotes. Rassemblez tout ce que vous pourrez, et, si vous voulez un jour conduire l’impression du beau Siècle de Louis XIV, ce sera pour vous fortune et gloire.

Je remercie l’abbé Desfontaines de s’être si bien démasqué, et d’avoir aussi démasqué Rousseau. Quand je l’aurais payé pour me servir, il n’aurait pu mieux faire.

Mais il y a un trait qui demande une très-grande attention, et

  1. Une tragédie de Nisus et Euryale"". Voyez la lettre 1053.
  2. Mme  de Fontaine.