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m’avoir caché tout cela pendant huit jours. C’est retarder de huit jours mon triomphe, quoique ce soit un triomphe bien triste qu’une victoire remportée sur le plus méprisable ennemi. La justification la plus ample est d’une nécessité indispensable, et je peux vous répondre que vous approuverez la modération extrême et la vérité de mon Mémoire[1]. Il doit toucher et convaincre. Encore une fois, et encore mille fois, vous vous imaginez que je dois penser comme M. de La Popelinière, qui, étant à la tête d’une famille, d’une grande maison, ayant un emploi sérieux, et pouvant prétendre à des places, ne doit répondre que par le silence à un libelle intitulé le Mentor cavalier[2], ou aux vers impertinents de ce malheureux Rousseau, qui outrage tous les hommes en demandant pardon à Dieu, et qui s’avise d’offenser en lui un homme estimable qu’il n’a jamais connu. Ce silence convient très-bien à Pollion, mais il me déshonorerait. Je suis un homme de lettres, et l’envie a les yeux continuellement ouverts sur moi : je dois compte de tout au public éclairé, et me taire, c’est trahir ma cause. J’ai tout lieu d’espérer que ce sera pour la dernière fois, et que le reste de mes jours ne sera consacré qu’aux douceurs de l’amitié.

J’aurais souhaité que vous n’eussiez point envoyé tous ces libelles au prince royal, et, surtout, que vous eussiez écrit une autre lettre à Mme du Châtelet. C’est une âme si intrépide et si grande qu’elle prend pour le plus cruel de tous les affronts ce que mon cœur pardonne aisément. Comptez que mon intérêt a moins de part à tout ce que j’écris que mon amitié pour vous.


1018. — À M. LE DUC DE RICHELIEU.
À Cirey, le 12 janvier.

Il a mille vertus, et n’a point eu de vices ;
Il était sous Louis de toutes ses délices.
Et la Septimanie a vu ce même Othon
Gouverner en César et juger en Caton.
Courtisan dans Versaille, et monarque en province.
De parfait courtisan il s’est montré grand prince,
Et goûtant le présent, prévoyant l’avenir,
Sut faire également sa cour, et la tenir[3].

  1. C’est le Mémoire imprimé tome XXIII, page 27.
  2. Voyez une note sur la lettre 651.
  3. Parodie des vers mis par Corneille dans la bouche de Lacus, Othon, acte II, scène iv.