Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/189

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gental, de Mme  du Châtelet, j’imiterai le bon Dieu, qui allait pardonner à Sodome, en faveur de quelques justes[1]. Je suis presque tenté de pardonner à un sodomite en votre faveur. À propos de cœurs justes et tendres, je me flatte que mon ancien ami Thieriot est du nombre ; il a un peu une âme de cire, mais le cachet de l’amitié y est si bien gravé que je ne crains rien des autres impressions, et d’ailleurs vous le remouleriez.

Adieu ; je vous embrasse tendrement, et je vous quitte pour travailler.

Non, je ne vous quitte pas ; Mme  du Châtelet reçoit votre charmante lettre. Pour réponse, je vous envoie le Mémoire[2] corrigé ; il est indispensablement nécessaire, la calomnie laisse toujours des cicatrices quand on n’écrase pas le scorpion sur la plaie. Laissez-moi la lettre[3] au Père de Tournemine. Il la faut plus courte, mais il faut qu’elle paraisse ; vous ne savez pas l’état où je suis. Il n’est pas question ici d’une intrépidité anglaise ; je suis Français, et Français persécuté. Je veux vivre et mourir dans ma patrie avec mes amis, et je jetterai plutôt dans le feu les Lettres philosophiques que de faire encore un voyage à Amsterdam, au mois de janvier[4], avec un flux de sang, dans l’incertitude de retourner auprès de mes amis. Il faut, une bonne fois pour toutes, me procurer du repos ; et mes amis devraient me forcer à tenir cette conduite, si je m’en écartais ; primum vivere.

Comptez, belle âme, esprit charmant, comptez que c’est en partie pour vivre avec vous que je sacrifie à la bienséance. Je vous embrasse avec transport, et suis à vous pour jamais. Envoyez sur-le-champ, je vous en prie, Mémoire et lettre à M. d’Argental ; ranimez le tiède Thieriot du beau feu que vous avez ; qu’il soit ferme, ardent, imperturbable dans l’amitié, et qu’il ne se mêle jamais de faire le politique, et de négocier quand il faut combattre. Adieu, encore une fois.


1076. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce 20 février.

Cher ange, voici une troisième fournée ; j’ai presque prévenu ou suivi tous vos avis ; je vous demande en grâce de souffrir le Mémoire à peu près tel qu’il est ; je n’ai plus de temps ; je suis au

  1. Genèse, xvii, 32.
  2. Voyez ce Mémoire, tome XXIII, page 27.
  3. Voyez la lettre 1002.
  4. Lisez février.