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de bonté à mes malheurs ; j’ai fait tant de changements à la Henriade que je suis obligé de lui envoyer l’ouvrage tout entier, avec les corrections. Si elle ordonne la voie par laquelle il faut lui faire tenir l’ouvrage qu’elle protège, elle sera obéie. Je suis trop heureux, malgré mes ennemis ; je la remercie mille fois, et tout ce que vous daignez me dire pénètre mon cœur. Que je bavarderais si ma déplorable santé me permettait d’écrire davantage ! Je suis à vos pieds, monseigneur. Je ne respire guère, mais c’est pour Émilie et pour mon dieu tutélaire.

Je suis avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance, etc.


1091. — À M. THIERIOT.
Le 28 février.

Je compte recevoir bientôt les livres pour Mme  du Châtelet, et celui que M. le prince Cantemir[1] veut bien me prêter. Je vous renverrai exactement les Èpitres de Pope, le S’Gravesande de la Bibliothèque du roi, la petite bague que Mme  du Châtelet a voulu garder quelque temps, et je souhaite qu’elle vous rappelle le souvenir d’un ancien ami qui vous a toujours aimé.

Si vous savez, à Paris, des choses que j’ignore, j’en sais, peut-être, à Cirey, qui vous sont encore inconnues, Éclaircissez-les, et voyez si je suis bien informé. Il y a environ douze jours que Desfontaines rencontra Jore dans un café borgne, et qu’il l’excita à vous faire un procès sur une prétendue dette. Il lui donna le projet d’un factum contre vous, dont ce procès serait le prétexte. Huit pages entières contenaient ce projet de factum. Ils riaient en le lisant, et mon nom, comme vous croyez bien, n’y était pas épargné. Ils nommèrent le procureur qui devait agir contre vous. Depuis ce temps, Jore a revu deux fois Desfontaines, et probablement vous avez reçu une assignation devant le lieutenant civil. Je n’en sais pas davantage ; c’est à vous à m’apprendre la suite de cette affaire. Desfontaines, qui n’est capable que de crimes, se servit, il y a quelques années, contre moi, d’un aussi lâche artifice, et Jore eut l’impudence de dire à M. d’Argental : « Je sais bien que M. de Voltaire ne me doit rien ; mais j’aurai le plaisir de regagner, par un factum contre lui, l’argent qu’il devait me faire gagner d’ailleurs. » M. d’Argental

  1. Antiochus Cantemir, né à Constantinople en 1709, mort le 11 avril 1744, à Paris, où il était ministre plénipotentiaire de l’impératrice de Russie Élisabeth. Ce jeune prince était fils de Démétrius Cantemir. Voyez tome XVI, pages 273 et 521.